Les 10 meilleurs albums de 2021
Les 10 meilleurs albums de 2021, année du destin. Une année dans la continuité de 2020, avec force résistance et un mince espoir de survie. Parmi ce désarroi, des albums furieux, queer, intelligents, sensibles et frondeurs, qui donnent la pêche et font réfléchir… Voici les 10 meilleurs albums de 2021.
10/ Olivia Rodrigo – SOUR
Label : Geffen | Genre : Pop-rock
Vous imaginez Taylor Swift virer mélodique et grunge ? Pour la première on peut dire oui (quoique) mais pour la seconde, plus difficile à admettre. La réponse s’appelle Sour d’Olivia Rodrigo. Pour les non-millenials, c’est la fameuse Nini Salazar-Roberts de High School Musical. On aurait pu s’attendre à une soupe mainstream pour squatter les ondes, or il n’en est rien. SOUR porte bien son nom : aigre mais attachant. On parle échecs, ruptures, choses tristes avec une tendresse, une intelligence et une maturité qui impressionne même la blasée que je suis. On apprécie la force et la sincérité de cette jeune voix, sans trémolos ni effets de style poussifs. On commence fort avec Brutal, punchy et 90’s, Traitor, franc, le délicat Drivers License, l’énergique Good 4 U, l’étrange Jealousy, Jealousy. Un album à tiroirs malgré l’étiquette « chanteuse à textes », d’une fraîcheur désarmante. Définitivement la bonne surprise de ces 10 meilleurs albums de 2021 et un nom à inscrire sur la liste des talents à suivre.
9/ Tyler, The Creator – Call Me If You Get Lost
Label : Columbia Records | Genre : Rap / Hip-hop
Ca commence à bien faire, ce Tyler. Non content de sortir à chaque fois un chef-d’oeuvre, il se permet une pléthore de guests, amis pour la plupart, qui n’ont jamais été aussi inspirés : Lil Wayne sur l’énervé Hot Wind Blows, 42 Duggs avec le cri de guerre Lemonhead et son interlude soul, Youngboy Never Broke Again et Ty Dolla $ign sur l’époustouflant Wusyaname, généreux comme un soleil d’été, ce bon vieux Pharrell Williams sur la montagne russe d’émotions Juggernaut. On peut citer le dramatique Momma Talk, la présence féminine de Daisy World sur Rise! Bien sûr, la liste serait trop longue. Mais pas chez le mastodonte Tyler. Monstrueux, triste, toujours en alerte, d’une créativité folle, il montre encore, avec un savant mélange d’opulence et de prudence, son immense talent. Le tout sans sacrifier au succès trop facile. Qu’il continue donc à faire des chef-d’œuvre, le veinard !
8/ Mdou Moctar – Afrique Victime
Label : Matador | Genre : Rock / Assouf
« Assouf » est un mot tamasheq (langue des touaregs du Mali) signifiant « nostalgie », et qui désigne le courant musical du blues touareg. Afrique Victime, un album que personne n’attendait, permet de redonner ses lettres de noblesse à tout un pan de l’histoire musicale africaine oubliée par la jeune génération. C’est du moins ce qu’on pensait jusqu’à l’écoute d’Afrique Victime. Mdou Moctar est un génial visionnaire, un touche-à-tout. Fier de son héritage touareg, il y ajoute un twist punk, avec une guitare affûtée comme un glaive. Le charme est indéniable : Chismiten et sa rythmique hypnotisante, Taliat à la guitare tordue, l’arabisant Ya Habibti, l’entraînant Layla, les dangers du colonialisme sur Afrique Victime, qui parle de la disparition prochaine d’une Afrique désunie. Un mélange de réflexions profondes, qui nous frappe à l’écoute de ce disque hors-normes. Merveilleux, tragique, fort d’un bel héritage culturel, Afrique Victime est une véritable pépite, ce qui n’est pas de trop dans ces 10 meilleurs albums de 2021…
7/ Chet Faker – Hotel Surrender
Label : BMG | Genre : Electro / Trip-Hop
Nick Murphy, alias Chet Faker, alias un chanteur charismatique. Un génie, capable de transformer n’importe quel petit son en épiphanie sonore. C’est le cas avec Hotel Surrender, un retour en grâce d’un grand nom. On constate que le temps et les attentes n’ont rien enlevé à ses capacités musicales, et on retrouve avec bonheur cette voix profonde, bouleversante et ces sonorités électroniques mélangées à un R’n’B étudié. Un charme vintage indéniable et classieux, s’exprimant sans retenue : Oh Me Oh My, d’une mélancolie frappante, Low, enlevé et magnifique, Get High et son groove années 20 savamment étudié, l’entraînant Whatever Tomorrow, I Must Be Stupid, qui déchire le cœur, ou la litanie So Long So Lonely, hommage à son père. Vous l’auriez compris, un album qui secoue le corps et l’âme. Un disque intime qui pourrait étonnera plus d’un, et un peu d’introspection ne peut faire de mal. Un disque de Chet Faker ou Nick Murphy, qu’importe. Tant qu’il reste debout et qu’il continue sa superbe musique, je pourrais disparaître tranquille.
6/ Arca – KICK ii / KicK iii / kick iiii / kick iiiii
Label : XL | Genre : Expérimental
La nouvelle déesse du son nous offre non pas 1, non pas 2 mais 4 albums à la qualité indéniable. Amour sans fin pour ces quatre diamants bruts, la quintessence même du son Arca : ballades effrayantes avec paroles trafiquées par ordinateur, rythmiques folles, boucles entêtantes, sonorités industrielles. Un style venu de nulle part. Arca est une trans non-binaire, assignée garçon à la naissance, préoccupée par la transidentité. Cette problématique hante son œuvre : univers mêlant masculin et féminin, chansons d’épouvante ou d’amour, d’une merveille à pleurer où d’une frousse sans nom, quand ce n’est pas un cri de colère. Mention spéciale au fou Prada et son duo Rakata, le démoniaque Incendio, le tordu Morbo, le doux Skullqueen, le superbe Rubberneck. Une quadrilogie d’albums incassables qui risque de faire date dans l’histoire de la musique.
5/ Doja Cat – Planet Her
Label : RCA | Genre : R’n’B / Hip-Hop
Quelle mutation, cette Doja Cat : de chaton aux allusions érotiques et aux clips équivoques, elle évolua en sorcière lionne puis finit comme guerrière panthère. Planet Her est l’album de la consécration, la preuve éclatante d’un talent indéniable, une véritable déflagration artistique. Loin de céder aux sirènes du mainstream, Doja Cat n’abandonne pas son humour douteux et ses paroles aigres sur l’amour. Mieux, elle l’enrobe de son héritage multiracial avec des percussions africaines, des rythmiques latines, de l’électro de Detroit, voir des expérimentations électroniques poussées (bips, bops, ululements). Un album avec une pluie de guests (The Weeknd, Ariana Grande, SZA, JID), une myriade de hits : Woman, beau comme un rêve, Need To Know déchirant, Love To Dream, introspectif, You Right, parfait, le stellaire Been Like This ou encore le swinguant Kiss Me More. Plus qu’une planète, mais une vraie galaxie d’or et d’argent.
4/ Little Simz – Sometimes I Might Be Introvert
Label : Parkwood Entertainment | Genre : Hip hop / Soul / R&B
La rappeuse britannique découverte par Damon Albarn pour Gorillaz a depuis fait son bonhomme de chemin. Après des errances musicales intéressantes, Little Simz a mûri. Sa grandeur s’exprime pleinement dans un disque au titre moqueur, Sometimes I Might Be Introvert. Tout le contraire de la musique de ce disque époustouflant de grâce et de cohérence. On navigue sans peur entre la colère rentrée, la dépression ou la joie, le tout avec une impression de bande-son de film d’espionnage des années 60. Le splendide Introvert, parfaite introduction pour une épopée féminine et féministe, le non moins merveilleux Woman, le placide Two Worlds Apart, I Love You I Hate You, au style soul du plus bel effet, le magnifique Point and Kill, et près de 19 chansons généreuses. Preuve que malgré le Brexit, l’Angleterre a encore son mot à dire sur sa musique. Little Simz n’est pas dupe, elle sait que c’est avec les oubliés de la politique (les minorités ethniques) que viendra ce changement musical.
3/ Foo Fighters – Medicine At Midnight
Label : RCA | Genre : Hard Rock
Soyons francs, trop de gens ne croyaient plus aux Foo Fighters, hein. Combien de bougons et de coincés du… bulbe, dirons-nous poliment, souhaitaient leur disparition depuis… 1995, année de création du groupe ? Trop. Mais on s’en fout ! Constance, patience et grâce sont les maîtres mots d’un groupe dont on a oublié les qualités. Si l’on oublie les délires ado marrants de Dave Grohl sur les 25 ans du groupe, on rend vite compte que Medicine at Midnight est leur meilleur disque depuis longtemps. Making A Fire, sage et tranquille, Shame Shame et sa candeur contagieuse, Cloudspotter classique et efficace, Waiting On A War, plein d’ardeur, l’inventif Medicine At Midnight, le vénère No Son of Mine, le mirifique Holding Poison. Papy Grohl a de la niaque et se fiche des commérages, tente de se réinventer musicalement. Moins bavard, moins ampoulé, Medicine At Midnight est la pilule du bonheur dans une année dure.
2/ Lil Nas X – MONTERO
Label : Columbia | Genre : Rap / Hip-Hop / Pop
Impossible d’être passé à côté de l’album le plus bankable de 2021, la grosse explosion de l’année. L’album de tous les records : 303 millions d’écoutes sur Spotify, 130 000 albums vendus la première semaine, 11 chansons de l’album dans le Billboard US, MONTERO est un tour de force. Musical d’abord, avec ce mélange de rap queer, de hip-hop électro et de pop, pourtant hermétique à l’attirail soul. MONTERO (Call Me By Your Name) et son clip en forme de célébration dionysiaque, le sautant INDUSTRY BABY et ses rêveries érotiques, et j’en passe. Aucun artiste noir à ce jour n’avait vécu son homosexualité de façon si éclatante, c’est assez rare pour le souligner, dans le monde très machiste du hip-hop US. Une véritable prouesse pour ce jeune homme de 21 ans, issu d’un milieu pauvre, qui tend à être un modèle pour tous ses fans. On ne peut que saluer cette audace avec une telle maîtrise et une telle maturité.
1/ Django Django – Glowing in The Dark
Label : Because Music | Genre : Pop / Electro Rock
Il était temps. Django Django est enfin revenu. On ne tarit plus d’éloges sur le talent évident de ces Londoniens découverts par un label parisien, qui n’a de cesse d’interroger la pop britannique sacrément amochée depuis une dizaine d’années. Spirals et son trémolo incendiaire, Right the Wrongs et sa rythmique implacable, Got Me Worried un brin salsa et secouant, l’imparable Waking Upi avec Charlotte Gainsbourg, pépite pop, Free From Gravity aux accents chiptune, le planant Headrush, la jungle sonore de The Ark, la ballade accrocheuse de the World Will Turn, le clinquant Hold Fast, et je n’ai plus les mots pour continuer. Clairement la meilleure surprise de 2021, l’uppercut de plus de la part de ce groupe que j’aime tant. Une inventivité intacte, un Nirvana atteint après tant de péripéties. On leur souhaite que cette saleté de virus n’amoche pas leur talent, et qu’il continue à nous tordre la cervelle avec leurs sons bizarroïdes et leur mélancolie british.
Mentions spéciales :
Damon Albarn – The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows
Label : Transgressive Records | Genre : Pop
Passé 40 ans, les grands musiciens ont un gros problème : leurs albums deviennent ennuyeux. Rien de tout cela ici. C’est un Damon Albarn introspectif, grave et solennel qui s’adresse à nous. Inspiré par les paysages glacés de l’Islande, l’album est pur et froid comme la neige : plus la fontaine est proche, plus le cours d’eau sera pur. Allusion à la situation actuelle ? Le talent de poète et de musicien d’Albarn n’est plus à prouver : la splendide ballade The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows, l’étrange The Cormorant, l’éveil de Royal Morning Blue, Combustion et son charme magnétique, le déchirant Daft Wader. Quel bonheur en tant que fan de voir son musicien préféré tester avec succès une nouvelle recette. Un album pas facile d’accès, dépouillé, mais grand par son âme.
KAYTRANADA – Intimidated EP
Label : RCA | Genre : Electro / Hip-Hop / House
Pas d’albums en vue en ce moment pour le producteur montréalais, le meilleur de sa génération mais un EP, Intimidated, d’une beauté foudroyante et irréelle. Je n’aurai qu’une critique à dire : cela est trop court (3 chansons snif) mais si cela suffit à me permettre de faire la salsa avec les doigts de pied en chantant à l’envers, alors ça vaut tous les featurings d’Ariana Grande de la terre. Que dire de plus à ce qui a déjà été dit maintes fois sur KAYTRANADA et sa musique? Parfait, sans bavures, un travail net et précis comme toujours, une prod presque angélique, des guests soignés et une musicalité inventive et entière. Intimidated en duo avec H.E.R, céleste et bouillant, le tragique Be Careful avec Thundercat, d’une splendeur sans pareil, qui vous laisse groggy, et le duo énervé avec Mach-Hommy, $payforhaiti, au rap étincelant, avec en fond une basse et une house étincelantes sur une chanson qui n’en demandait pas tant. Tel un drogué en manque, je demande plus mais zut le disque est fini. Tant pis, j’attendrai le prochain shoot, histoire de tutoyer les sommets, encore…