Britney Spears – Blackout : abîmes de la fame
Blackout de Britney Spears représente un cas d’école d’album sous-estimé et oublié. Sombre, sexuel, tortueux, parfois génial, il est temps de réhabiliter celui qui est considéré comme le meilleur album de la chanteuse pop des années 2000.
Année : 2007 | Label : Jive | Genre : Dance / Electro / Pop
Etrange histoire que Britney Spears & Blackout. En ces temps de reconfinement, je me traîne mollement sur des playlists Youtube du passé. Avec ma soeur, nous nous amusons à écouter certaines ritournelles avec rire, agacement, et mélancolie. On rigole de l’italodance, toujours aussi gênante, on sourit face aux clichés R’n’B d’une autre époque, on hausse les sourcils devant certaines tenues vraiment pas top : la combistring de Christina Millian, les susurrements de Nicole Sherzinger un peu forcés, ou les fourrures indécentes de Jennifer Lopez dans Love Don’t Cost A Thing. Ayant besoin de rire, je pioche sur les vidéos des années passées : 2000, 2002, 2004, 2005 et 2007. Puis je tombe sur Britney Spears. A un moment, j’écoute machinalement Gimme More, entendu de façon très hachée à l’époque, beaucoup trop intéressée comme tout le monde par les déboires de la starlette (crâne rasé, parapluie et compagne). Je regarde le clip. Et aussi étrange que cela puisse paraître, je trouve que ce court extrait de 10 secondes n’est pas assez. Je réécoute la chanson en entier, je regarde la vidéo en détail. Et c’est comme un coup de poignard dans le coeur. Une évidence dans mon coeur de critique habituée aux élégies de Luke Vibert ou aux expérimentations manga de Doja Cat : Gimme More est une putain de chanson. Peut-être la meilleure que Britney Spears ait jamais réalisée en fait. Mince. Je m’arrête d’écouter, et je relance Blackout en entier dans mon ordi. A chaque écoute je me surprends à aimer ça, un peu comme une drogue, et je réécoute encore et encore. Jusqu’à être accro. J’arrête, le souffle court. Et me rend compte d’une évidence : Blackout est certainement le meilleur album de Britney Spears, le plus audacieux de sa carrière, le plus sombre, le plus insaisissable aussi. Pas franchement avenant, voire carrément effrayant. C’est toute une ombre qui nous enveloppe et nous englue dans une fête diabolique où la célébrité, l’argent, les déboires nous ont déjà tué. Le titre si équivoque : blackout signifie « coupure de courant », voire « évanouissement », mais décrit aussi une perte de mémoire et de conscience, le silence en somme. Un purgatoire avant le saut dans l’abîme. Venant de la « princesse de la pop », une telle audace ne pouvait pas passer inaperçu.
1er blackout : sombrer, se relever, sombrer encore
Plusieurs facteurs évidents entrent en jeu lorsqu’il s’agit de raconter en détail la genèse de cet album pas comme les autres. En 2004, Britney Spears achève la production mouvementée de In The Zone, sorti l’année dernière, et qui, on peut se l’avouer aujourd’hui, était le dernier album de l’ère de la starlette pop pour ados. Parce que comme tout être humain normal, Britney grandit et ses aspirations ne sont plus les mêmes. La naïveté adolescente, sa couverture innocente et suggestive de Rolling Stone en petite tenue, ses paroles faussement candides, tout ceci n’était plus pour elle. Plus logique, des blessures aux genoux l’obligent à se reposer. On sent la machine de l’American Dream montrer des signes d’épuisement. Rien de tel d’une télé-réalité pour relancer le succès ? En couple avec Kevin Federline, un danseur rappeur, elle lance Britney + Kevin = Chaotic sort en 2005. Et c’est un bien triste manège que la télévision montre à ses fans. Formaté à l’extrême, faux, déplaisant, d’une qualité médiocre, le show se fait défoncer par tout le monde et disparaît dans l’oubli. Ce qui était vu comme une occasion de donner un souffle nouveau à sa carrière et sa vie de maman (elle était enceinte au moment du tournage) n’est qu’un coup de pelle de plus dans la tombe de Britney. Le couple bat déjà de l’aile. Britney est aussi connue comme la personnalité la plus photographiée de son temps : entre 50 et 100 photos la minute. Perdue, elle boit plus que de raison, s’exhibe sans sous-vêtements et s’acoquine avec Paris Hilton et Lindsay Lohan. Les virées se font plus intenses, avec son lot de photos embarrassantes, de fausses paparazzades, de vomi sur la chaussée. Le coup de grâce sera la photo de son fils sur les genoux alors qu’elle conduit. Elle enchaîne cure de désintoxication, rechutes, retours. On lui interdit de voir ses enfants par sécurité. Un soir, au bord de l’implosion, elle se rase symboliquement la tête. Cet événement sera suivi en direct par la terre entière, estomaquée de voir la fiancée de l’Amérique se rapprocher d’une starlette de télé-réalité, d’une catin de bas étage. La peluche Tinky Winky a laissé place au cocktail sex drogues et rock’n’roll. Aussi atroce que cela puisse être, cette descente aux enfers sera tristement la plus rentable de toute l’histoire de la pop. Mais pour Britney, c’est un gouffre intérieur qui s’ouvre, béant, prêt à la happer. Blackout, Britney Spears, c’est clairement le néant…
Connaissant la loi de Murphy, rien ne pouvait s’améliorer alors. N’ayant plus rien à perdre, Britney se jette à corps perdus dans la réalisation d’un nouvel album, en compagnie des producteurs Sean Garrett (le Yeah! de Usher c’était lui) et J.R. Rotem (SOS de Rihanna entre autres). On lui adjoint les services de Danja, producteur et parolier de son temps, ayant travaillé avec nombre de gens connus dont la liste serait trop longue à écrire. Enceinte, en plein divorce, Britney donne tout et impressionne Danja pour sa ténacité, sa volonté et sa force de travail. Le son est travaillé différemment aussi. Finies les interludes romantiques ou les phrasés charmants, on veut du lourd, des paroles dures et vraies. Gimme More sera la première chanson écrite, suivie de Break the Ice, Get Naked (I Got a Plan), Hot as Ice, Perfect Lover, Outta This World et Get Back. Ce qui aurait pu être considéré comme un passage à vide se transforme en règlement de compte et une thérapie salutaire pour l’artiste. Autre fait marquant, elle décide d’y incorporer des éléments électro, dubstep, électroclash pour certains titres, chose encore rare à l’époque pour une chanteuse pop. Les photos, réalisées par Ellen Von Unwerth, montrent une Britney aguicheuse avec un chapelet autour du cou dans un confessionnal plus proche de MTV que d’une église. La ligne catholique américaine en prendra pour son grade. Les erreurs s’enchaînent alors. L’album finir par fuiter sur le site de Perez Hilton, qui avait diffusé l’album sans autorisation, et sera obligé de retirer la musique de son site. Mais trop tard, les téléchargements illégaux explosent. L’album sort sans promotion, plus ou moins lancé par la prestation de la chanteuse aux VMA 2007, qui suffira à redorer le blason. C’est du moins ce qu’on pense. Dès les premières secondes, tout s’effondre. La chanteuse n’est pas prête. La chorégraphie hésitante, les rajouts de cheveux assez grossiers pour masquer son crâne rasé, ainsi que la tenue en bikini noir qui la boudine, rien n’est fait pour que la performance fonctionne. C’est un fiasco, diffusé en direct devant des fans épouvantés (mention spéciale à la tête de 50 Cent et P. Diddy en mode « je vous fous quoi ici »). Atterré, son manager démissionne, et disparaît plus la pauvre Britney Spears, Blackout sort dans la foulée. C’est le symbole d’une déchéance. Mais contre toute attente, l’album cartonne, même s’il n’arrive pas à faire oublier les problèmes personnels de Britney, ni à égaler les ventes de In The Zone. Ses fans la surnomment désormais « Godney ». On a peur pour Britney, et surtout, on commence à avoir peur d’elle. Et on a raison.
2ème blackout : avaler les couleuvres de la célébrité
Malgré toute la violence médiatique à l’époque, et tout ce flot d’images dévastatrices qui auraient pu faire oublier le plus important, à savoir la musique, Blackout avait à l’époque récolté des critiques excellentes. Même des journaux sérieux comme NME, The Guardian, Rolling Stone, Entertainment Weekly ou les Inrocks (!!!) parlent d’un album maîtrisé et entraînant, d’une musique recherchée et éclatante, et que la voix de la chanteuse a pleinement profité de ses capacités dans des registres plus sexy. D’autres critiques plus assassines évoquent un timbre de poupée gonflable, une direction artistique trop froide, l’abus d’AutoTune et une musique robotique. Dans tous les cas, Britney Spears, Blackout font parler d’eux. Et pourtant, ce n’est pas franchement gagné. La jaquette de l’album est un peu ce qu’on pourrait faire de pire en matière de montage photo (Photoshop est mort) : une Britney brune en tenue mi-showgirl, mi-urbaine pas convaincante avec en fond cette espèce d’illusion optique orangée faisant plus penser à un trou de fesse qu’à un truc cohérent… sans parler du regard de Britney, entre la flamme et les braises éteintes, cherchant vainement un but. Toutefois avec le recul, ce visuel est assez symptomatique de Blackout, et exprime, peut-être maladroitement, une échappatoire qui n’arrive pas. Britney se teint en brune, s’habille façon street et sort d’un tourbillon intérieur prêt à la dévorer. Si l’image à l’époque me faisait bien rire, elle revêt aujourd’hui un caractère prophétique, symbole des angoisses de la chanteuse. Le néant n’est pas loin, et il reste toujours à poursuivre Britney de ses assiduités. N’oublions pas les clips, plus révélateurs que n’importe quelle chanson. Gimme More par exemple décrié à l’époque comme amateur, mal fichu et repoussant. Si l’on fait attention, on remarque une profusion de détails significatifs. L’on voit une Britney Spears blonde, tout sourire, entourées par des clones de Paris Hilton et Lindsay Lohan (revanche ? hommage ? difficile à dire), être happée par la performance de son double à une barre de pole dance, brune, puant le soufre, symbole de ses angoisses les plus profondes. L’image est bleutée, sombre, grisâtre durant la danse. Brusquement, l’image change lorsque les deux amies s’invitent à la partie dans une métaphore de threesome un peu défaillante. La Britney blonde du début disparaît. Et que dire des rares présences masculines attablées, froides et sans vie, tout juste bonnes à regarder Britney brune se trémousser sans faire attention à autre chose (et qui ressemblent d’ailleurs à Kevin Federline, autre élément troublant). Britney brune et ses copines dansent de façon désarticulée, essayant de faire vaguement quelque chose avec cette foutue barre de pole dance, et les couleurs deviennent violemment saturées, colorées à l’extrême. La Britney blonde revient, visiblement heureuse de cette prestation. Clap de fin. Le résultat n’est peut-être pas parfait – on retient une caméra numérique aux fraises, une danse de pole dance inefficace et des effets vidéo pas salutaires – mais cet instantané est suffisant pour se dire que Britney en a gros sur le coeur et que les hostilités ne font que commencer. Un clip lynchéen, où l’idole de l’Amérique blonde et rassurante regarde son double avec un mélange d’angoisse et de plaisir érotique – ce que la vidéo ne manque pas de montrer.
Parlons de la chanson en elle-même. A peine sommes-nous remis de nos émotions que Britney nous insulte avec son It’s Britney, Bitch, devenu malgré lui un mème et l’emblème d’une nouvelle ère. Le rythme est lancinant, parfait à l’écoute, et on l’entend, dire je veux danser avec toi, je te vois comme une mise en garde : je vois tout ce que tu fais, rien ne m’échappe. Un rire sardonique conclut cette intro. Le chant est aigu, faussement rassurant, les paroles assassines : la lumière violente et vorace des paparazzi la terrorise, que le public qui l’attend n’est pas tendre et « en veut toujours plus ». D’où le gimme more prononcé comme une supplique, sur un rythme parfait (bravo Danja), adressé au « crowd » (foule en anglais). On y entend des allusions sexuelles (on a mission renvoit à la position du missionnaire), puis cet aveu de faiblesse : Je ne peux plus me contrôler / Ils en veulent toujours plus / Très bien, je leur en donnerai plus. La chanson s’achève avec Danja parlant d’elle : Ah, vous ne vous attendiez pas à ça / de l’incroyable Lago / Venant de la légendaire Britney Spears / Tu vas devoir m’effacer / Parce que moi je ne vais nulle part. Les cris plaintifs en arrière-plan provoquent l’effroi, les sons sont dérangeants. Débarrassés de ses fioritures médiatiques nulles, Gimme More est un hit en puissance, un aveu de faiblesse d’une bête qui agonise, un chant du cygne d’une rare beauté. Nous nous relevons de cette entrée en matière pour le moins directe, qu’un second coup de poing brise notre visage : Piece of Me, où Britney décrit ces médias voraces, dans une ballade qui tourne à l’anthropophagie Je suis Miss American Dream depuis mes 17 ans / On s’en fiche que je reste sur scène / Ou que je flâne aux Philippines / Ils veulent tous mettre la photo de mon cul dans le magazine. Peut-on faire plus équivoque ? Le clip montre Britney en faisant des fuck face caméra, avec de fausses couvertures de tabloïd, alors qu’elle écrit « Sucker » (couillon en anglais) sur un paparazzi au rouge à lèvres. Radar nous informe des goûts de la donzelle en matière d’homme : La confiance est un must / l’impertinence est un plus / la nervosité est une bataille / Les coins, je les aides rudes / un homme au toucher de Midas / qu’il m’intoxique, je suis en manque / tu me fais rougir / attention, les gens nous regardent. Dans son « radar », les hommes ne lui échappent pas : voir le clip où Britney se fait stalker sur fond de course de chevaux. Elle n’hésite pas à reluquer son « poulain », un beau gosse, essayer d’en battre un autre, dans une métaphore de bataille d’égos (ou de taille de pénis, à voir). Britney se fait chasseuse d’étalons au membre viril bien tourné. Elle se permet même à la fin du clip de se barrer avec le jeune poney plutôt que le fier étalon ayant pourtant gagné, sur un soleil couchant. Quant au clip de Break The Ice – réalisé par Robert Hales, qui a fait Crazy de Gnarls Barkley – elle se fait justicière cyborg, combattant un vilain style mafieux, l’embrasse, le liquide, puis fait exploser un bâtiment en écrivant « Victoire » sur le building. Ambiance.
3e blackout : feu intérieur et sueurs nocturnes
Si les quatre singles ont un peu phagocyté l’ensemble du disque, difficile de trouver le reste incomplet. Blackout, sous ses airs peu amène, se révèle être d’une formidable cohérence. Le statut de pop-star est sans cesse remis en cause par Britney Spears Blackout, est retranscrit dans ube douloureuse lucidité et une amertume certaine. Britney nous prouve qu’elle n’est plus une petite sainte-nitouche, qu’elle a donné la vie, a divorcé, bref la vie de femme. On la comprend. Tout dans Blackout pue le sexe, le sex cru, tendance SM sauvage, souvent expéditif. Le démoniaque Get Naked (I Got A Plan), qui n’a qu’un but : fais ce que tu veux de mon corps. Dans Heaven On Earth, elle se montre charmante, languissante, en attente d’un orgasme qui lui ferait un peu oublier son existence broyée. Freakshow et ses sublimes beats d’une noirceur recherchée, où le festival de monstres se transforme en peep-show minable. Toy Soldier, ou visiblement Britney ne s’amuse plus de ses « jouets » (vous suivez?) et veut un vrai homme (vous suivez toujours?). Hot As Ice, et son cheminement érotique, Ooh Ooh Baby qui ressemble à un brouillon imparfait de Womanizer, presque touchant dans son style hispanique, mais cru dans sa description de l’acte sexuel (le terme remplir revient une bonne vingtaine de fois). Le swinguant Perfect Lover, où la voix de Britney n’est plus qu’un murmure, parlant d’un amant idéal (on parle pas d’amoureux je vous informe), la merveilleuse (et la seule) ballade avant-gardiste Why Should I Be Sad (comment pourrais je être triste? tout un programme!), où Britney parle de ses déboires après cette fête du cul perpétuelle. Seul le paradis le sait dit Britney en substance, comme un aveu d’échec d’une douloureuse vérité. Son garage et sa maison sont remplis de choses précieuses, mais son coeur semble vide. Les paroles sont d’une lucidité étonnante, triste même : Pourquoi devrais-je être folle ? Être triste ? Qui Sait / Il est temps pour moi d’avancer / il est temps pour moi de le faire / Je suis fatiguée de chanter des chansons tristes / C’est mon moment (Britney allons y). Avez vous besoin d’un traduction pour saisir toute cette souffrance ?
Plus le disque touche vers la fin, plus les sensations se font violentes, disparates, agressives. Britney ne sait plus ou elle en est, et nous, nous n’en menons pas large. Get Back (en gros, « récupère-moi » dans un sens bien « physique » hein) et sa phrase d’intro : The one and only Britney (la seule et unique Britney) qui se fait chasser par un homme un peu trop entreprenant, et qui le recadre bien vite en lui disant en substance que chéri, on n’est pas du même monde hein. Everybody, qui est un sample de Sweet Dreams désarticulé et désenchanté, où Britney chante sa conclusion, en feu d’artifice et force trémolos (maîtrisés) dans la voix, la liaison entre le monde des 80s et celui des 00s. Elle retourne le sens de la chanson à son aventure, en parlant de rêves érotiques, forts mais fugaces, s’éclipsant lorsque le jour se lève. Une formidable fin en forme d’apothéose. Et nous, pauvres fans ayant en tête les atermoiements d’une jeune pucelle aux couettes parfaites, nous sommes sur les rotules. L’écoute d’un tel disque ne laisse pas indifférent et a même perturbé une fan d’électroclash comme moi – et promis, j’en ai vu d’autres. Même pour un disque de Britney Spears Blackout est épuisant, sexuel à l’extrême, profondément dérangeant, pourtant d’une classe folle, jamais vraiment vulgaire. Un savant mélange de musique urbaine, d’électro pop, d’effets sonores étranges et fantasques. Des artifices électro sans jamais verser dans la lourdeur et l’effet de style. Certains grinceront des dents face à ce constat évident : les paroles crues ne seraient rien sans un flow imparable, une enveloppe sonore travaillée et une ambiance pleine, entière. Un Gimme More splendide et cruel, Why I Should Be Sad et son aveu de douleur féminine, Radar et ses désirs de sexe larvés, Get Naked et sa course à la chair fraîche, Perfect Lover et ses sueurs nocturnes sur les rêves impossible du parfait amant. Blackout irradie d’un feu intérieur impossible à éteindre, les flammes d’une femme conquise et conquérante. Cette sensualité exarcébée, ces rêves trempés de sueur amoureuse, ces complaintes sur la célébrité, valent tous les Everytime et les Toxic de la planète, à bas mot.
Britney Spears – Blackout : une parenthèse noire, un héritage certain
Le temps semble parfois être l’ennemi du bien pour beaucoup de groupes que je connais ( coucou les Klaxons), et une sale légende voudrait que l’on devienne plus tolérant envers les ritournelles du passé. Après avoir longtemps rejeté cet état de fait pendant une bonne décennie, je suis venue à la conclusion que parfois, c’était vrai. Blackout est passé hors de mon radar pour des raisons que j’ignore encore aujourd’hui. Etait-il trop froid ? Trop sexuel ? Trop Britney ou pas assez Britney ? Trop médiatique ? Ou simplement « trop » justement ? J’avais ressenti un dégoût profond à l’époque à propos du traitement scandaleux de la star que j’en avais presque oublié le reste. Ils avaient raison de penser cela et moi j’avais tort. Il est vrai qu’on peut critiquer le fait de voir la voix de Britney être noyée sous une bonne couche d’effets numériques pas forcément utiles (Paris Hilton en fera les frais sur son disque), ou le côté sexuel intempestif des chansons, mais même une sceptique comme moi reconnaît que cet album ne ressemble en rien à ce qu’a fait Britney dans le passé. Blackout est original et percutant. Une parenthèse noire et salvatrice pour l’artiste, qui a certainement économisé des années de thérapie dans ce disque, où son miroir déformant s’exprime sans fards sur la cruauté du succès lorsqu’on est une femme jeune, divorcée, mère et que son image publique est jetée en pâture aux plus offrants. En réalité, si on regarde le paysage musical passé et présent, aucune star de la pop n’aurait osé ou même imaginer s’exprimer avec une telle violence sur les douleurs de la célébrité, en exprimant des abîmes de souffrance et de solitude. Mais à cette recherche artistique, on préféra se pencher en mal de sensations à cette image incroyable de Britney se rasant le crâne en rigolant presque, frapper un paparazzi avec un parapluie alors qu’on lui refusait le droit de visite à ses enfants. Ce n’était plus Baby One More Time, mais Britney Bitch qui sortait de sa carapace. Cette métamorphose en avait choqué plus d’un, et a juste titre. Britney était certainement la première, mais nullement la dernière, à exprimer la sauvagerie de la célébrité. Voir aussi l’épouvantable scène où, transportée d’urgence dans une ambulance, les voitures de paparazzi empêchaient la voiture de passer. L’enfer existait.
Les frasque de tabloïd avaient, comme je l’avais cité plus haut, presque fait oublier la musique de l’album. En réécoutant Blackout, il serait impoli de dire que le disque n’a pas compté dans l’histoire de la pop. Recherché, riche en effets électro alors novateurs, puisant vers la house de club en y injectant un venin de serpent, Blackout a certainement fait beaucoup pour les starlettes de pop en devenir. A une époque où la musique électronique se mélangeait à peine aux stars, Britney Spears avait sauté le pas et avait incorporé des élements de clubbing élégants à ses paroles. Le mélange est étonnamment cohérent : singeries de clavier dans Gimme More, gémissants monocordes tordus dans une boucle sonore unique dans Piece of Me, le magnifique crescendo crissant de Get Naked, la sexualité exacerbée de Freakshow avec un choeur parfait, le spleen écorché de Why Should I Be Sad qui rappelle parfois le meilleur de Disclosure ou Jorja Smith. En fait, Blackout était en avance sur son temps, peut-être trop pour les pauvres ados que nous étions. Son héritage est encore palpable pour ses protégées : Charli XCX et son Boom Clap ou 1999, Marina and the Diamonds avec Primadonna (cité comme hommage à Britney), voire Katy Perry et dans une certaine mesure Taylor Swift. Toutes partagent ce sentiment d’empowerment, cette rage de vivre et ce désir de sexualité libre et assumée, mais peut-être à des degrés différents, Taylor Swift représentant plus ce qu’était Britney était à ses débuts (la Miss Americana) et Katy Perry un versant plus tordu, plus cartoon. La mue d’un artiste est parfois difficile à cerner, mais elle permet sans problèmes de dire qu’elle est nécessaire pour avancer. Regardez Justin Bieber et osez me dire que vous ne le considérez pas comme un meilleur artiste, mieux que ce qu’il était à ses débuts ! Blackout par son aura sulfureuse a un peu été oublié, et a longtemps été relégué au rang de curiosité, jusqu’à ce que le Guardian en 2012 parle le lui comme « l’album pop le plus influent de la décennie 2000 ». Même le Rolling Stone, pourtant pas avare en ragots racoleurs, avait désigné Blackout à la place 441 des 500 meilleurs albums de tous les temps. L’influence du disque est considérable sur la musique des années 2010, son côté hybride a inspiré toute une flopée d’artistes. Ce mélange sexy d’électro et de R’n’B allait complètement redessiner les cartes des genres et oser l’expérimentation. Tout ceci n’allait pourtant n’être qu’une parenthèse, l’album étant détrôné par Circus sorti en 2008, reprenant un côté sexy plus théâtral, inspiré de l’univers du circus. Certes, un peu de la Britney du passé existait, mais la chrysalide avait accouché d’un papillon noir et rouge tout neuf, prêt à affronter le futur plus seirenement.
Britney Spears – Blackout : quitter les ténèbres
Pour le côté célébration, plusieurs choses sont aussi à noter. Impossible de passer à côté de It’s Britney, bitch (coucou c’est Britney, salope, au cas où vous n’auriez pas saisi), qui sonne comme les premières phrases d’une greluche partie en discothèque, ou bien une tueuse à gages venant vers vous en mode « Sarah Connor? » des Nuls pour vous tuer. Un mème planétaire, repris depuis par la chanteuse et wil.iam dans un duo oubliable Scream and Shout qui dilue la force de cette phrase équivoque sous une tonne de sucre. N’oublions pas le formidable Chris Crocker, jeune gay peroxydé issu d’une famille très stricte d’un bled paumé de la Bible Belt, qui hurlait à la face du monde son amour de Britney Spears en nous disant de la laisser tranquille. Depuis, il suit une carrière d’acteur de films d’adulte et dira aux journalistes que l’album a été très mal jugé et que ce passage à vide de la chanteuse l’avait profondément affecté et bouleversé, le renvoyant aussitôt à ses déboires de gay dans une Amérique WASP intolérante et homophobe. On a trop rigolé du côté hystérique mais touchant de cet hommage un peu bizarre suite à la prestation désastreuse des VMA 2007. Mais au fond, lui aussi exprimait une souffrance. Comme une empreinte indélébile. On s’est bien marrés comme des baleines, à partager sa vidéo, mais au final on s’est surtout moqué d’un pauvre bougre. Aujourd’hui l’anecdote prête à sourire, mais on oublie aussi le côté presque « coming-out » de ce jeune gay qui ne demandait qu’une chose : exister pour lui-même. Comme Britney Spears au fond.
Après les ténèbres, il est possible de rencontrer la lumière. Britney Spears rentre dans le rang avec Circus en 2008, Britney Jean, Femme Fatale et Glory, enterrant une bonne fois pour toutes ses envies de meurtre et de sexe avec Blackout. Les hits vont se succéder : Womanizer, Circus, 3, Work Bitch, Slumber Party, et j’en oublie certainement volontairement. Car nous sortons de l’originalité (pardon les puristes). Blackout n’aura donc été qu’un one-shot pour Britney, avant que cette dernière ne sombre dans la dubstep bon marché ou l’EDM de mauvais goût. Tant pis. Britney Spears en est ressortie renforcée de cette éprouvante époque et c’est le plus important. Dernièrement, elle a ouvert The Zone (reprenant le titre de son album sorti en 2003), un espace à Los Angeles, comme une installation artistique de l’univers graphique de ses clips à succès. On y voit sous forme de tableau la salle de classe et les casiers de Baby One More Time, le délire jungle et serpent de la prestation de la chanteuse de I’m Slave 4 U aux MTV VMA 2001, l’avion tendance SM coucherie de Toxic, le cirque délirant de Circus. Pour la modique somme de 50 dollars (tout de même!!), vous pourrez donc emmener vos meilleurs amis faire des selfies en mode « esclave serpent » ou « gentil fantasme de salaryman japonais », en repartant avec un legging de sport estampillé Britney Bitch bien sûr.
Puis, au détour d’une salle, on aboutit à l’étrange chapelle Blackout, dans des tons rouge orangé, et cette étrange illusion d’optique de la pochette du disque en fond. Autour, des cierges fluo et des miroirs en forme de coeur et de fleur. Au loin, on aperçoit des vitraux montrant un coeur transpercé d’une sorte d’épine. La salle peut, selon les dires de la chanteuse, célébrer des mariages. Un curieux mélange de malaise, de féminité, de rage endormie. C’est là que je salue, quelque part, l’intelligence de la chanteuse. Britney Spears sait que Blackout a autant compté dans sa vie que les autres disques de sa carrière, à un degré peut-être plus violent, et insaisissable. Le fait que l’opus, pourtant décrié à l’époque, possède une salle entière dédiée, n’est pas anodin, surtout sous forme de chapelle. Ce tourbillon orange peut paraître effrayant de premier abord, mais symbolise aussi la fin d’un cycle, et le début d’une nouvelle ère, plus lumineuse, plus apaisée aussi. Mais il constitue aussi une mise en garde, chaque belle chose a son revers sombre.
Preuve que Blackout, finalement, possède une place particulière dans le coeur de la chanteuse. Britney Spears & Blackout, n’ont fait qu’un pendant un court instant.