The Last Broadcast (1998) ou la peur du réel
The Last Broadcast : une curiosité imparfaite mais courageuse, précurseur du found footage nouvelle génération qui allait faire table rase du passé et tenter des idées qui feront date. The Blair Witch Project lui doit beaucoup, inconsciemment…
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le genre du found footage est plutôt ancien. On note l’excellent Punishment Park, filmé avec les mêmes codes que le genre dans les années 70 par Peter Watkins. Le film fit grand bruit à sa sortie en dépeignant une uchronie (peinture d’un événement historique qui n’a jamais eu lieu) : un état d’urgence a été créé après la guerre du Viet-Nâm visant à arrêter tous les opposants au conflit. Ils devront traverser pendant 3 jours sans ressources le « Punishment Park », un désert grouillant de flics armés jusqu’aux dents. Un film essentiel sur les décisions politiques, la liberté d’expression et la question centrale du voyeurisme. Car voyeurisme, il en est question dans le found footage : quel est notre rôle, nous, en tant que spectateur, dans une histoire présentée comme réelle alors que tout est faux ? Si cette question était embryonnaire dans les années 70, les années 80 en rajoutèrent une couche avec Cannibal Holocaust, épopée dans une tribu amazonienne versée dans la cruauté et les actes de torture. Ici, la politique avait laissé place à l’horreur. Ce côté horrifique resta longtemps associé au genre, et l’est encore aujourd’hui malgré quelques exceptions (Chronicle, Projet X voire même Rachel Se Marie).
En 1999, le genre renaît brusquement avec le célèbre Projet Blair Witch, réalisé avec un budget ridicule de 25 000 dollars et qui en rapporta près de 100 millions… sous cette promotion marketing se cache un bijou d’épouvante, jouant avec nos nerfs et questionnant notre rapport à la réalité avec une rare acuité. Si j’admets volontiers que seule la fin constitue pour moi un sommet d’angoisse et de terreur, Le Projet Blair Witch démontre en l’espace de 88 minutes toute la puissance de la création cinématographique. En gros, faire grand avec peu.
Mais tout le monde a plus ou moins oublié The Last Broadcast. Surfant sur des sites parfois étranges, je tombe sur ce qui est présenté comme le précurseur de Blair Witch, avec une histoire microscopique : une émission style « chasseurs de fantômes » veut réaliser un reportage sur le Diable de Jersey, créature démoniaque du folklore américain, en compagnie d’une équipe technique, de deux présentateurs et d’un médium. L’histoire, comme on le devine, tournera court. Le film sort en 1998, et pour un budget ridicule de 900 dollars en rapporta 4 millions. Imparfait mais courageux, The Last Broadcast, malgré son gênant cousin fan de sorcières, avait des choses intéressantes à nous raconter.
ATTENTION. Cet article contient des spoilers sur la fin de l’intrigue.
Mystères de The Last Broadcast
Malgré une qualité approximative (grain de l’image sale, filtre 90s typique, mouvement de caméra rude), The Last Broadcast sait faire preuve d’ingéniosité dans son style épuré. Tout commence par un monologue sur fond noir de David Leigh (le réalisateur du film), citant la cruelle histoire de cette équipe de télévision partie filmer le Diable du New Jersey et qui a terminé en bain de sang. La personne regarde fixement le spectateur dans les yeux, parlant d’un ton monocorde où ne trahit aucune émotion. Une sensation pesante se fait sentir avec des fondus au noir, ainsi qu’une musique stridente du meilleur effet. L’intrigue est banale. Deux jeunes gens en quête de frisson veulent faire un dernier coup d’éclat pour faire monter l’audience de leur programme « Fact of Fiction » (Vérité ou Fiction, la TNT n’avait décidément rien inventé), considéré par le créateur lui-même comme l’une des meilleures émissions du genre. Si le propos est convenu et raconté avec simplicité, l’on remarque qu’une certaine critique se fait sentir : sur les deux hommes, l’un d’eux, Stefan Avalos, apparaît comme le plus loquace et le plus inventif. Mais pas le plus intelligent, son programme bat de l’aile et il le cache à ses amis en rêvant de dollars. Il décide de faire participer les gens dans l’émission. Un mystérieux appel, parlant avec une voix « flippante » selon l’un des ingénieurs du son, leur conseille d’aller enquêter sur le Diable de Jersey. Une créature du folklore américain, au corps de reptile, volante, avec la tête d’une chèvre ou d’un cheval. Si l’on peut rire en tant que néophyte à cette bêbête somme toute assez originale, l’ambiance est déjà teintée d’étrange.
On poursuit la quête du mystère. Ils partent pour les Pine Barrens dans le New Jersey, mais cette expédition est déjà vue comme un « fiasco ». Ils rencontrent un médium reconnu dans la région pour les aider dans leur quête : Jim Suerd, dégaine de fan de Nirvana qui apparaît comme original au comportement bizarre. Peu loquace, il instille une angoisse diffuse, qui monte brusquement lorsqu’on le voit deviner des cartes ou se rouler par terre de douleur en exhibant des chiffres gravés sur le bras. Ambiance.
Il sera d’ailleurs le seul survivant de cette quête.
Tension(s)
On pourra reprocher certains effets de zoom faciles sur de pauvres articles de journal, ou des choix d’enchaînement discutables, malgré tout l’ensemble tient, n’oublions pas que l’on est en 1998 et que les moyens sont encore rudimentaires. Si le sort de ces pauvres gens semble déjà sceller, on peut saluer la formidable économie de moyens dont fait preuve le film. Une tension palpable se cache au détour d’un interview, d’un plan de caméra ou d’un commentaire personnel. Via un seul plan, le réalisateur nous fait vite comprendre que l’enquête a piétiné (la police soupçonne même un canular), mais que deux corps ont été retrouvés. Les deux compères n’auront pas fait long feu. Les acteurs sont merveilleux de crédibilité : le policier joue parfaitement son rôle de cartésien face à l’horreur, l’ingé du son un brin caustique, ou bien les proches des victimes jouant la carte de la tristesse avec conviction. Etonnant lorsque l’on sait qu’ils sont tous amateurs. Les lieux sont aussi bien représentés : arrestation de la police, commissariat, maisons cossues, paysages sauvages et inquiétants. Cette crédibilité rend le film bien plus réaliste et ne fait que jouer avec nos nerfs.
En filigrane, quelques critiques viennent s’ajouter : le jugement expéditif du pauvre Suerd que l’on juste « démoniaque » à l’issue du procès, une réélection du parti républicain tombée à l’eau pour le procureur à cause de l’affaire, et le vidéaste chargé de vérifier les vidéos complètement dépassé par les événements. Le réalisateur décide d’y mettre son grain de sel avant de nous exposer ses recherches : cadres serrés, mouvements de corps désorganisés, regard fuyant de Suerd. Celui-ci, sous les vidéos tournés, change complètement. Il n’est plus le gentil gars timide, mais une créature effrayante, dont les problèmes mentaux et la recherche vaine d’un monstre imaginaire vont bientôt le rendre vulnérable. Une incroyable tension se fait sentir, plus forte que les précédentes. On apprend que Suerd, après avoir dévoilé des indices, se suicide en prison. Mais l’auteur du meurtre de Steve et de son comparse reste introuvable, malgré la trouvaille d’un chapeau et d’une carcasse de voiture sur un bas-côté. On devine, progressivement, une piste farfelue : et si c’était le fameux Diable ? Au regard de l’enregistrement, quand on aperçoit une trace de sang dans la nuit alors que l’équipe perd petit à petit l’esprit, on peut s’en douter.
Puis le film bascule dans une autre dimension.
Si l’on regrettait les nombreux copies de plans déjà utilisés dans le film pour compléter l’enquête, un retournement de situation s’opère violemment. Le réalisateur s’avère être l’une des « ombres » de la vidéo et sans crier garde, tue la vidéaste Michelle qui pourtant l’avait aidé dans son enquête ! Il s’agit d’une scène de strangulation assez bien exécutée (je rappelle que le film a été fait avec 900 dollars), et se permet même dans son horreur d’être esthétique au milieu des bâches de papier transparent. Sans trahir d’émotion, le réalisateur désire continuer sans « être importuné » et se débarrasse du cadavre. Le grain VHS des années 90 rend les scènes encore plus horribles. Et nous, spectateur, on commence à craindre le pire.
Sans vraiment comprendre ce qui se passe, on s’enfonce de plus en plus dans les Pine Barrens, et quelque part, dans une zone inconsciente. Le réalisateur est dans une autre dimension, il parle à la caméra, répétant sans cesse la même phrase, un cadavre à ses pieds, et un bourdonnement nous emplit le crâne sans comprendre.
Mais le film s’arrête là, nous laissant avec de nombreuses questions en suspens. Le Diable de Jersey aura finalement, eu raison de tout ce petit monde trop curieux à s’intéresser à son sort…
Conclusion de The Last Broadcast
Difficile de comparer The Last Broadcast à son illustre rival, Le Projet Blair Witch et ses 100 millions de dollars de bénéfices. Mais malgré une qualité approximative, un début lent et un twist final assez malhabile, on se prend à rêver ce qu’il aurait pu donner s’il avait eu de meilleures conditions. Au final aurait-il était mieux s’il avait eu plus d’argent ? Aurait-il pu garder ce charme brinquebalant, volontaire avec plus de moyens ? La fin aurait-elle était plus logique ? Les acteurs plus crédibles ? Lorsqu’on voit ce que le remake atroce de Blair Witch sorti en 2016 propose comme « relecture » avec plus de fric (une sorcière 3D qui court sur les murs?? Sérieux?), on se demande si c’est vraiment une obligation… C’est dans son économie de moyens que The Last Broadcast se révèle intéressant à défaut d’être inoubliable. C’est tout simplement fou de voir toute cette architecture être dressée de façon si crédible avec si peu d’argent. On retrouve le réel plaisir du cinéma d’innover, d’essayer de trouver quelque chose, d’essayer en somme. C’est en ça que Broadcast et Blair Witch sont fascinants. Faire peu pour provoquer beaucoup. Le temps de tournage très court a également favorisé une zone géographique précise qui devait limiter les allers retours en voiture. Ce qui n’est pas un frein en lui-même, le territoire américain regorgeant dans chaque état de milliers de légendes… la plupart des acteurs étaient de proches collaborateurs des réalisateurs Lance Weiler et Stefan, et l’on retient pour la postérité que The Last Broadcast a été l’un des premiers longs-métrages tournés et montés entièrement sur un équipement numérique grand public.
Mais le film n’est pas exempt de défauts. On retient un rythme assez poussif, comme un pseudo-reportage aux images d’archive intrigantes, une tension palpable avec un point culminant complètement ravagé par une fin sans queue ni tête, qui risque d’en désarçonner plus d’un. La qualité VHS typique des années 90 ne risque pas de plaire ceux qui sont nés avec un écran LCD devant les yeux, tout comme le montage un brin psychédélique (zooms grossiers, spirales à la « Movie Maker », répétition de certaines images inutile). Certains acteurs en font trop et le déroulement de certaines scènes est problématique. La fin en elle-même marque un sérieux frein à une crédibilité pourtant bien établie. Elle suscite beaucoup d’interrogations qui n’auront, on le sait bien, pas beaucoup de réponses. Au final, qui a manipulé qui ? Pourquoi ces jeunes ont été irrésistiblement attirés par une zone en particulier ? Suerd était-il réellement innocent ? Le réalisateur était-il simplement fou au point de tuer ces gens ? Qui est-il au juste ? Un malade mental, un tueur en série, ou bien était-il possédé par l’esprit du Diable de Jersey ? Est ce que cette créature existe et au final, a-t-elle manipulé tout le monde ?
Mais dans le fond, est-ce si important d’en savoir plus ? Cette façon de laisser le spectateur dans l’embarras de choisir, après avoir été manipulé de A à Z par une caméra pourrie, est certainement la chose plus importante et la plus crédible qui ressort de The Last Broadcast. Certes, le film n’est pas parfait, mais il a su comme Blair Witch et sa ribambelle de gamins, jouer avec le réel, le distordre et le malaxer pour en faire ce qu’il veut. Il ne s’embarrasse pas de constat ou de vérité, il propose sa vérité, et la donne à un spectateur avide qui se retrouve bien embêté avec cette fraction de réel complètement réduite à néant par son créateur. L’effroi ne vient pas de faux sang dans la neige, d’un son distordu ou bien d’un visage émacié pixellisé sur un fond noir, mais il provient de cette réalité proche de la nôtre, avec ces étudiants en chemises moches et aux attitudes que l’on revoit chez nos amis, de ces gens interviewés qui pourraient être nos proches, de ces lieux que l’on peut fréquenter. Même ce réalisateur, froid et implacable, pourrait nous être familier. Au début, sans émotion, il débite le déroulement du film comme s’il était le seul créateur de toute l’histoire, on suit gentiment sa progression en ayant un peu peur, et boum, sans crier garde, nous assène ce coup dans la figure, puis disparaît sans crier garde. Celui qui était l’investigateur n’était que le deus ex machina de l’histoire, ayant droit de vie et de mort sur ses semblables. Peut-être la seule chose qui fiche vraiment la trouille dans cette histoire.
Même si l’ensemble s’avère mal ficelé en raison de cette fin abrupte et peu logique, the Last Broadcast mérite d’être regardé. C’est un étrange objet filmique, entre le mockumentaire, le thriller, le film de fin d’études et la performance artistique. Il n’aura jamais eu le succès de Blair Witch, mais il aura été un formidable brouillon pour ce film. Le film aura, malgré lui, engendré quantité d’œuvres plus ou moins imparfaites. De plus, The Last Broadcast peut se targuer d’être le premier film de l’Histoire entièrement filmé avec des caméras numériques entrée de gamme, les premières du genre. Par son statut d’outsider, pour l’avancée technologique, par intérêt cinéphile, et pour le pur frisson du nouveau, The Last Broadcast mérite d’être vu.