Les mentions honorables musicales des années 2010
Et bien entendu, les recalés. Trop commerciaux, ou pas assez pétaradants, ou trop étranges pour être traités dans le top, la sélection fut difficile. Alors j’ai décidé de leur rendre hommage en leur donnant les mentions honorables musicales des années 2010 à chacun d’entre eux. Comme ça personne ne se bagarre. Il y a de tout, du bon et du correct, mais juste assez pour figurer dans ce classement.
C’est excellent.
Ariana Grande – Sweetener
Année : 2018 | Label : Republic | Genre : Pop / R’n’B
On commence fort ces mentions honorables musicales des années 2010. Même si le registre chaton peut en faire déguerpir plus d’un, il faut reconnaître qu’Ariana Grande a une voix somptueuse. Et un style fashion très millenial, un vrai discours sur les femmes et l’empowerment en général. Une parfaite star pour les ados de cette décennie. Mais derrière les cuissardes en vinyl blanc et la queue de cheval en hauteur que se cache-il donc ? Une douleur secrète, montrée avec sensibilité et sincérité. De l’électro magnifique et une voix qui tutoie les sommets, à la fois soul, r’n’b, ou rap. On retient le très beau No Tears Left To Cry, le merveilleux God As A Woman et son swing délicieux, l’enjoué Blazed en duo avec Pharrell Williams, le duo the Light is Coming avec Nicki Minaj. Malgré l’apparence douce du disque et son titre (« édulcorant » en anglais), on glisse progressivement sur une saveur douce-amère, aux forts accents féministes, revendicateurs. Impressionnant de maturité.
Poliça – Shulamith
Année : 2013 | Label : Mom + Pop | Genre : Rock / Electro
Avouons-le aujourd’hui, Poliça est un groupe qui cache bien son jeu. Après Give You The Ghost qui a surpris tout le monde, même Prince himself (mais pas moi désolée), Channy Leaneagh et Ryan Olson se renouvellent enfin. Et secouent encore tout le monde. Déjà par le titre, qui fait référence à la féministe hardcore Shulamith Firestone, et aussi à l’étrange pochette où une femme est montrée de dos, avec un étrange liquide rouge – est-ce du sang? de la coloration pour cheveux ? ce qui a même poussé à la censurer sur iTunes et Spotify !! Mais dans quel monde vit-on bon sang ? Un monde violent, selon Poliça : Chain My Name et sa longue complainte, Smug et son étrangeté contagieuse, le délice Las Vegas, le charme jazzy de Warrior Lord et ses nappes sonores, l’inquiétant Very Cruel, le vertigineux Torre, le récréatif Trippin. Sous influence Portishead, Drake et Radiohead, Poliça s’est bonifié avec le temps et peaufine toutes ses créations avec un très grand soin.
Mr Little Jeans – Pocketknife
Année : 2014 | Label : Harvest Records | Genre : Electro / Pop
Monica Birkenes, jeune Norvégienne, décide de s’installer à L.A. Visiblement fan de Rushmore de Wes Anderson (son pseudo vient de ce film), Monica se remémore son escapade londonienne où elle trimait tout en étudiant le drame. Elle décide de remixer à sa sauce The Suburbs d’Arcade Fire qui s’avère être une excellente version. Sa popularité grandit, Pocketknife sort en 2014. Excellente initiative car cet album est précieux et beau. Et dans ces mentions honorables musicales des années 2010, on aime ça. Rescue Song et son refrain enjoué, le fraternel Mercy, Runaway et ses accents inquiétants, Oh Sailor et ses refrains d’enfants, Don’t Run et sa mise en garde, la batterie énervée de Good Mistake, Haunted et ses faux airs de musique de plage, Lady Luck et sa joie solaire et puis cette reprise. Clairement un hit pour moi. Une version plus sombre, plus stimulante, poisseuse et collante, merveilleuse. Brusquement, l’album se teinte de gris. Mr Little Jeans nous a secoué…
cupcakKe – Eden
Année : 2018 | Label : Autoproduit | Genre : Rap / Hip-Hop
Si vous n’aimez pas le mauvais goût et la colère sexuelle d’une femme furieuse, fuyez. CupcakKe nous a habitué depuis ses débuts à des textes crus, des rythmiques violentes et un flow imparable. Peut-être l’un des grands noms actuels de rap féminin. Dans Eden, rien de nouveau sous le soleil. Toujours la même rage féminine, et paroles chocs : PetSmart et des envies de tuer, Cereal and Water et les critiques sur une mère qui veut plutôt perdre du poids que de s’occuper de son enfant, Quiz où elle met en garde les haters contre elle de « prendre un flingue » au cas où (charmant), le très distingué Garfield où elle compare le chat à… son vagin (qu’il est gros, aime mang… euh on s’arrête là). Un véritable festival d’insanités prononcés avec candeur et agressivité, le tout avec des rythmes excessifs et dansants. J’ai perdu mon cerveau en chemin.
Helena Hauff – Discreet Desires
Année : 2015 | Label : Ninja Tune | Genre : Techno / Electro
Teint de lait, cheveux sombres et profil d’aigle : voici Helena Hauff, nouveau nom de la scène techno berlinoise. Si la jeune femme cultive une existence discrète, voire banale, il n’en est rien de sa musique. Forte comme une pulsation, étrange comme un alien difforme, mystérieuse comme un sortilège, la musique de Discreet Desires apparaît comme une épopée sombre où le métal et les organes bougent. L’effrayant Tripartite Pact, la ritournelle Spur et son rythme cassant, froid, Sworn To Secrecy Part 1 et ses allures de film d’horreur, L’Homme mort et ses accents dance / électro. L’album s’emballe. Ce son si brut s’explique en partie par les vieilles machines qu’utilise Hauff pour réaliser sa musique, improvisée, réelle, crue. Ce ton authentique a le mérite d’être salué dans un tel milieu.
Eminem – The Marshall Mathers LP2 (Deluxe)
Année : 2013 | Label : Interscope | Genre : Hip-Hop
Veuillez accueillir dans ces mentions honorables musicales des années 2010, un vétéran. Après les années 2000 dorées, Eminem reprend du service. On peut saluer l’effort. Déclaré « vétéran » (il n’a pourtant que 40 ans), Eminem a encore des choses à dire sur cette modernité qui lui échauffe les narines. Et s’entoure de Rick Rubin, légendaire producteur des Beastie Boys et d’une liste de guests de qualité : Skylar Grey (Asshole, Bad Guy), Nate Nuess (Headlights), Kendrick Lamar (Love Game) ou Rihanna (The Monster). Des monstruosités de beauté apparaissent : Rhyme or Reason, rock’n’roll, Rap God et sa cataclysmique flow entré au Guinness Records, Berserk et son charme old-school ou Wicked Ways en duo avec X Ambassadors, enlevé, enflammé, splendide. Il reste encore de la rage.
Father John Misty – Pure Comedy
Année : 2017 | Label : Sub Pop Records | Genre : Pop
Dans tous ces délires électro, rap et autres machins à bruit, y’a-t-il encore de la place pour un peu de tendresse ? Pure Comedy vous tend les bras. Ici, il n’y a que douceur, mélancolie, style, assurance, et chouette piano. La chanson éponyme qui rappelle beaucoup Elton John, Total Entertainment Forever et ses chants puissants, le renversant Things It Would Be Helpful To Know Before The Revolution, Ballad Of The Dying Man sur une mort très douce, Birdie et son atmosphère nostalgique, Leaving L.A et son conte moderne, A Bigger Paper Bag stupéfiant, When The God Of Love Returns There’ll Be Hell To Pay poignant. Et ça continue encore. D’une nature angélique mais parlant de politique triviale, Pure Comedy est un summum d’élévation. Father John Misty est un saint, sur terre comme au ciel. Ces mentions honorables musicales des années 2010 s’en relèvent difficilement, c’est dire.
Miike Snow – iii
Année : 2016 | Label : Downtown/Atlantic | Genre : Pop / Electro
Enfin, leur album sort, après avoir passé une décennie à composer des tubes pour Katy Perry, Madonna, ou tout ce qui ressemble de près ou de loin à des divas. Si le titre est lugubre (iii, franchement), l’album est un concentré pur jus de joie de vivre et de force. Finie la tristesse, ici on ose danser, s’épancher, vivre quoi. My Trigger magnifique et parfait, Heart Of Me et ses accents pop ado, Genghis Khan taquin et enlevé, Heart Of Full et ses samples soul / funk à la sauce électro pop, un duo fantastique avec Charli XCX For U, le génial I Feel The Weight, ou la version de Heart Of Full façon Run The Jewels, admirable et un peu déconcertant. Pas pour rien que ces paroliers à la plume affûtée soient si demandés, à en juger leur album plein de soleil, pas étonnant qu’ils soient si populaires. Un album prestigieux et énergique.
Mitski – Puberty 2
Année : 2016 | Label : Dead Oceans | Genre : Pop / Rock
Avant ses rêves de popstar, Mitski est pour le moment propulsée comme nouvel espoir de la pop rock indépendante US. Mitski, c’est un grand talent découvert par Puberty 2, un véritable trésor. Le folk déchiré de Happy, Dan The Dancer et sa voix d’ange, et guitare colérique, Once More To See You, et son style lancinant, hypnotique, Fireworks, piquant, vif comme des feux d’artifice, ou encore le génial Your Best American Girl, nouvel hymne indie qui a marqué les esprits par son esprit faussement cool. I Bet On Losing Dogs, enchaînant perfection sur perfection, My Body’s Made of Crushed Little Stars, et son ébauche de rock vengeur. Ou bien le céleste Thursday Girl. Tout cela sent bon l’esthétique 90’s, très rock voire grunge. La chanteuse est nippo-américaine, à l’aspect simple mais à la charge puissante.
Miss Kittin – Calling From The Stars
Année : 2013 | Label : wSphere | Genre : Electro / Techno
Après bien des expérimentations pas toujours couronnées de succès (I Com, Batbox), je restais sceptique. Et puis, le choc électrique puissance 1000 volts. Calling From The Stars est une résurrection en mode ultra, une puissance électro techno aussi forte qu’une supernova. Revenue d’entre les étoiles, Miss Kittin nous déstabilise : Flash Forward, étincelant et rapide, Come Into My House et ses beats prodigieux, le chant des dieux Bassline, taillé pour la danse XXL, le cosmique Calling From The Stars en duo avec Gesaffelstein au clavier sombre en apesanteur, la techno glacée de Life Is My Teacher, l’époustouflant What To Wear, en mode ténèbres. Et surtout, les refrains ineffaçables de Miss Kittin, comme une déesse invisible. Une superbe plongée dans les étoiles. Décidément, ces mentions honorables musicales des années 2010 voyagent…
Luke Vibert – Luke Vibert Presents UK Garage Vol. 1
Année : 2017 | Label : Hypercolour | Genre : Electro / Dance
Les fans d’électro pointue se souviennent sûrement de I Love Acid, véritable hymne des clubs. Wagon Christ, c’était lui et c’était merveilleux. Plug c’était lui, et c’était déroutant. Sur cet opus chargé et gourmand en mélodies imparables, Luke Vibert redevient lui-même. Et nous livre sa version personnelle du Garage UK. Et j’adhère. Mais vraiment. The Future qui casse tout, U Can’t Touch Dat qui rappelle les racines noires de ce genre trop méprisé, Back With Me inouï, Heard It All B4 et ses ouvertures musicales démesurées, le très hip-hop Everybody, Feel The Melody et ses accents techno rave 90s. Tout est d’une organisation au sommet, avec une véritable recherche dans les sonorités garage, non sans l’expérience de Vibert en la matière. Un album trop rare, mais très précieux, essentiel pour le DJ en devenir…
Lomepal – FLIP
Année : 2017 | Label : Pineale Prod | Genre : Hip-hop/Rap
Si vous pensiez que le rap français n’était que derrières rebondis, paroles creuses et mélodies fausses, vous vous trompez lourdement. On peut toujours être surpris (je me répète mais c’est vrai). Et Lomepal ? Une sacré découverte, une rouste en pleine poire. Un rien de désinvolture, une dose de courage, une énorme rage, un zeste d’électro et une pincée de classe et FLIP apparaît devant nos yeux, médusés. Et nos oreilles, elles, sont foudroyés. Notre corps comme noyé. Palpal en mode présentation honnête et piquante, la merveille tordue de 70, Bécane et son cri dans le silence. Mais surtout la beauté de Yeux Disent, qui brise le coeur avec ses paroles noires et ce clavier bon sang. On a devant nous un observateur amer. Finie le flip, voici le spleen. Grimé en femme sur la pochette, le dandy Lomepal traîne ses savates avec classe. Qui aurait cru l’apparition d’un rappeur français dans ces mentions honorables musicales des années 2010 ici? Personne.
Mention honorable musicale des années 2010 : très bien.
Portugal. The Man. – Woodstock
Année : 2017 | Label : Atlantic | Genre : Pop / Rock
Méfiez-vous du marketing. Ca peut entraîner de lourdes séquelles, et croyez-moi j’ai vu trop de bons groupes tomber dedans. Est-ce le cas de Portugal. The Man enfant chéri des critiques alors ? Oui c’est vrai, Woodstock est plus mainstream et accessible. Oui les chansons sont un peu faciles, j’en conviens. Reste encore une énergie intacte, et des musiciens assez talentueux, il faut l’admettre. On a soupé de Feel it Still, et son refrain vaguement jazzy qui plaira certainement à votre soeur graphiste, Easy Tiger et sa délicatesse hippie malgré un refrain un peu facile et pas forcément inspiré, Live In The Moment et son impulsivité un peu forcée. Bon Ok, j’arrête le massacre. L’album n’est certainement pas le meilleur du groupe, et les critiques sont divisées. Mais l’ensemble reste assez solide pour nous faire danser jusqu’à plus soif, c’est déjà ça de gagné.
Bad Bunny – X 100pre
Année : 2018 | Label : Rimas | Genre : Reggaeton / Latin Trap
L’Auto-Tune, c’est le Bien et le Mal. Mais surtout le Mal. On compte trop les artistes qui en usent et en abusent pour juste « ajouter » du cool. Mais ils se fourvoient PARCE QUE C’EST PAS COOL. Vald le fait avec une certaine classe, même Gorillaz s’y met avec Popcaan sur Humanz avec Saturnz Barz. Mais ici, l’ensemble prend. Bad Bunny, c’est ce mec chelou qui chante avec tout ce qui ressemble à une femme, aux clips sentimentaux. Avec des paroles très misogynes qui me gonflent, et une esthétique qui me laisse froid. Bon OK, c’est pas la joie. Mais l’album se révèle très intéressant, voire presque excellent. La trap sauce latino fonctionne : Ni Bien Ni Mal et son spleen, Quien Tu Eres ? et son fond hip-hop pas désagréable. L’inhabituel duo MIA avec un Drake chantant en espagnol parfaitement. Rien que pour cet exploit, l’album est super.
Die Antwoord – Donker Mag
Année : 2014 | Label : Zef Recordz | Genre : Hip-Hop / Rave
Difficile de ne pas succomber à Die Antwoord même si le groupe s’éparpille un peu trop. Tout est réuni pour que le groupe réussise : deux Sud-Africains grimés comme des clodos, aux symboles obscurs, chantant rageusement sur le racisme, le sexe, l’occulte, la violence de l’Afrique du Sud, la musique merdique. Et deux lascars attachants : Ninja et sa dégaine de contrebandier tatoué et scarifié, Yo-Landi Vi$$er, poupée blanche et blonde à la voix option hélium, enfantine et perverse. Quid de l’album ? Quelques pépites : Ugly Boy, fort et courageux, Cookie Thumper ! et sa peinture des Afrikaaners, Pitbull Terrier, à la fois consternant et franchement magnifique. On peut noter une baisse de régime vers la fin du disque mais l’ensemble s’avère cohérent malgré ça. Curieusement, je fonds.
Rover – Let It Glow
Année : 2015 | Label : Cinq 7 | Genre : Pop / Rock
Rover est le parfait exemple du mélange réussi entre l’Amérique et la France. Fils de diplomates, il a fortement absorbé cet amour des grands espaces et une classe typiquement française. De sa voix éclatante cachée dans un physique de colosse, Rover nous démontre l’étendue de ses talents : Some Needs et son spleen foudroyant, Odyssey qui flirte avec la folk d’antan, Call My Name et sa phénoménale ambiance de film noir, Innerhum et sa guitare exceptionnelle, HCYD et sa douceur surannée, Let It Glow et sa précieuse tristesse, Along, brusquement inquiétant, In The End et son soubresaut de vie, comme un road-movie qui tourne mal. Un album fugace, étonnant, triste. Rover a toute l’étoffe d’un grand et ne s’en cache pas. La méga classe quoi.
Jamaica – No Problem
Année : 2010 | Label : Cooperative Music | Genre : Pop / Electro
Que celui qui a eu l’idée de mélanger la guitare schizophrène et l’électro French se manifeste. Voici No Problem, qui réconciliera même les plus sceptiques. Ex-Poney Poney, Xavier de Rosnay, membre de Justice, les renomme Jamaica, s’emballe pour le projet et enregistre le disque avec eux. Ou plutôt devrais-je dire le fracas de verre et de terre qui atterrit au pied de l’arbre. Cross The Fader et ses riffs apprêtés comme des fusées, le single I Think I Like U 2 et son mariage explosif entre électro et rock années 60, la facilité un peu évidente de Short & Entertaining mais à la conclusion inattendue, Secrets ou l’hommage très léger à un certain rock FM, Jericho et son style Americana, Gentleman, presque nuageux. On retient aussi des remix de qualité par Breakbot, Tepr ou Goose.
Nick Cave & The Bad Seeds – Ghosteen
Année : 2019 | Label : Ghosteen Ltd | Genre : Pop
On ne remet jamais vraiment d’un deuil aussi grave que celui d’un enfant. Le fils de Nick Cave disparut suite à une chute mortelle d’une falaise. Forcément mort à l’intérieur, Nick Cave exorcise cette douleur insurmontable par le biais de Ghosteen, le fantôme adolescent. Ce fils si chéri, cette âme perdue, semble hanter tout l’opus. Nick, inconsolable, tente de remédier à ce chagrin en chants langoureux, lents, acoustiques, parfois en pleurs. Bright Horses et son désespoir sous la forme d’une lamentation, Waiting For You, et l’espoir d’une rencontre dans l’au-delà, Night Raid et son rêve de rencontre nocturne, où la voix de Nick Cave se brise. Tout cela témoigne d’un grand chagrin, toutefois mis en forme de superbe façon.
Mention honorable musicale des années 2010 : C’est bien.
Elva – Winter Sun
Année : 2019 | Label : Tapete | Genre : Folk / Pop
Un peu de douceur dans ces mentions honorables musicales des années 2010 ? Oui : oubliez la ville et les routes encombrées, les grèves à n’en finir. Laissez-vous aller, cueillez des fleurs et honorez votre promise comme il se doit. De doux sentiments traversent Winter Sun, et l’on se prend à devenir tout attendri par cette bonne humeur et cette joie de vivre. Parfois, nos coeurs lourds ont besoin d’un peu de réconfort. Le charmant Athens, le virevoltant Tailwind, le bol d’air frais Dreaming With Our Feet, le positif Ghost Writer, la ballade bucolique Harbour In the Storm, le plus original Everything Is Strange, où l’on sent que l’obscurité existe toujours dans ce bas monde. Cet album ne révolutionnera pas son genre, mais la bonne volonté d’Elva fait que l’on passe un bon moment, emmitoufflé dans une couette douillette en regardant les renards dans la forêt.
Baauer – Aa
Année : 2016 | Label : LuckyMe | Genre : Trap / Bass / Electro
La bass, non. La trap, pas pour moi. Et les duos avec Diplo, bah ça passe ou ça casse. Et si on réunit les trois, je vomis. De toute façon, j’aime rien. Mais Baauer a des talents cachés, paraît-il. Mais si c’est pour nous sortir une énième version du Harlem Shake fait par des étudiants bourrés de Sciences Po, je dis non. Machinalement, j’écoute Aa. J’ai eu tort. On a trop méprisé ce mec. Il est doué, très doué. Mais a tendance à s’éparpiller. Je note un gros talent tout de même et des super chansons: l’impeccable GoGo ! et son clip démesuré, Body et son électro organique, Pinku, d’une fraîcheur incontestable, Good & Bad, intéressant, Church Reprise et son étrange hommage religieux. Bref, j’ai du me cogner la tête un peu trop fort. A écouter, même si la partie « featurings » (Pusha T, M.I.A.) est un peu moins intéressante.
Class Actress – Rapprocher
Année : 2011 | Label : Carpark Records | Genre : Electro / Synthpop
Ressortez les épaulettes et mettez-vous aux épaulettes. Rapprocher est clairement un rescapé de la new-wave des années 80, à son meilleur, à son zénith, c’est selon. Elizabeth Vanessa Harper et sa voix comme une brise légère, vous feront voyager dans les contrées sauvages de Soft Celle et Human League : Keep You et sa descente d’acide, Love Me Like You Used To ou la douceur de vivre, le sympathique Weekend, l’impérial Prove Me Wrong et ses senteurs exotiques, Need To Know et sa pénombre classieuse, l’entêtant Limousine, élégant comme un hit de Duran Duran, la perle sombre Missed d’une allure étincelante. Des frissons apparaissent au détour d’un son, d’un éclat de voix, et l’on se surprend à se rapprocher de son partenaire pour des parties de collé-serré en pleine soirée de danse. Notre corps se réchauffe, l’esprit vole.
Blur – The Magic Whip
Année : 2015 | Label : Parlophone | Genre : Pop / Rock
Mais qui a dit que les années 90 étaient mortes ? Qui a osé dire que les anciens groupes n’avaient plus rien à prouver ? Qu’on l’enferme. Je vous présente The Magic Whip (le fouet magique). Un petit coup sur le derrière et c’est reparti. C’est piquant, emmêlé, mélodieux et parfois magnifique. Mais un peu ennuyeux? Ca dépend. Lonesome Street et son charme vintage, New World Towers un peu en trop, Go Out et sa guitare imaginative, Ice Cream Man qui lorgne un peu du côté de Radiohead, My Terracotta Heart, kitsch ou suranné, Ghost Ship ou le spectre de Parklife, le miracle Ong Ong et son refrain entraînant. Pas vraiment suffisant pour en faire un hit qui trônera sur mon bureau, mais assez convaincant pour que je casse les pieds de mon entourage avec. Ha ha ha.
Cardi B – Invasion of Privacy
Année : 2018 | Label : Atlantic | Genre : Rap / Hip-Hop
J’ai tendance à me méfier des projets rap trop marketés pour percer un quelconque public. Iggy Azalea est passé par là, même Nicki Minaj je dirais. Cardi B répond à tous les « check » qui font la rappeuse typique : formes généreuses, check. Enfance malheureuse, check. Gros bagou, check. Avec option striptease et crêpage de chignon avec tout ce qui ressemble à une femme. Du moment que ça ne l’empêche pas de faire de la bonne musique… au risque de saturer les radios. L’album est toutefois très bon, avec un bel enrobage graphique (clips, tenues, pochette stylée). Notons le furieux Get Up 10, Drip en duo avec Migos, original, I Like It et sa salsa-ragga aux sons caribéens, Ring avec Kehlani. Pour ces mentions honorables musicales des années 2010, c’est montrer un peu de fragilité dans cette mécanique trop bien huilée.
Tegan & Sarah – Hey, I’m Just Like You
Année : 2019 | Label : Sire | Genre : Pop / Electro
On reste dans un cadre rassurant, féminin et enlevé avec le duo Tegan & Sarah. Paradoxe que ce groupe qui a commencé avec de l’indie pop et a fini par tester l’électro grand public sans se perdre. Ici, on met plus l’accent sur l’authenticité. Ce qui sauve le disque, c’est clairement la personnalité sincère de Tegan et Sarah, leurs voix chamarrées, les arrangements colorés. Entre candeur et solitude, notre esprit s’affaire : Hold My Breath Until I Die, charmant, I’ll Be Back Someday, mécanique mais efficace, Hello I’m Right Here et ses questions sur notre place dans le monde, Please Help Me qui lorgne sur le meilleur des années 2000 (pour une fois). Si l’on sent inévitablement le vernis ado craqueler, on reste heureux de l’écoute !
Mention honorable musicale des années 2010 : C’est ok.
Aya Nakamura – Nakamura
Année : 2018 | Label : Parlophone / Warner | Genre : R’n’B
Vous m’ennuyez avec vos mises en garde. J’aurai pu gueuler sur cette musique qui me laisse complètement froid. Et tant pis pour les critiques. On en a bavé dans les années 2000 alors pourquoi se forcer ? Déjà deux choses importantes : Aya Nakamura, malienne d’origine, utilise avec intelligence ses origines pour les injecter dans un flow de bonne humeur, et elle est la seconde artiste après Edith Piaf a avoir été n°1 aux Pays-bas. LES PAYS BAS, vous savez le pays de la mimolette. Arbore un sourire ultra bright, des cheveux bleus et un vocabulaire entre Flaubert et Kool Shen. Donc, est-ce que ça vaut le coup ? Je répondrais par une citation : “L’originalité d’un auteur dépend moins de son style que de sa manière de penser.” C’est de Tchekov. Et j’écoute La dot et j’arrive presque à être conquise et tant pis pour les rageux. Curieux et contagieux comme un shot de vodka épicé. Les rageux diront que ca ne mérite même pas une mention dans ces mentions honorables musicales des années 2010, mais je m’en fiche…
Klaxons – Love Frequency
Année : 2014 | Label : Because Music | Genre : Dance / Electro
Faut arrêter avec les Fluo Kids, ça veut plus rien dire tout ça. Alors stop. J’ai la trentaine et ce genre de disque ne veut plus rien dire. Que reste-il de Klaxons après toutes ces expérimentations parfois hasardeuses ? C’est bien beau de vouloir renouveler la pop anglaise, encore faut-il un peu de cadre. Ici, on s’aventure vers la scène rave années 90s, mais avec un peu trop d’enthousiasme. New Reality qui sent un peu le renfermé, There Is No Other Time taillé pour les radios, Show Me A Miracle, un peu ailleurs mais addictif, Out of The Dark, ou le début de la fête, Invisible Forces où on retrouve brièvement l’essence du groupe mélangeant piano et électro, le plus subtil Liquid Light, The Dreamers qui a pas grand chose à faire là, Love Frequency et son inquiétante progression. Après injection d’ayahuasca, le groupe s’est un peu renouvelé. Déjà ça de gagné…
Damso – Lithopédion
Année : 2018 | Label : Capitol Music France | Genre : Rap
Pas fan de ce genre de voix, mais il faudrait être maso pour dire que Damso c’est caca (bravo pour la profondeur). Le rap du lascar belge se révèle assez poignant, incisif. Son Introduction mi-tragique, mi-politique, très grinçant, Festival de rêves et l’appel de l’abîme, le plus calme et magnifique Julien aux paroles incroyablement cruelles, Silence en duo avec Angèle, présence féminine bienvenue dans ces abîmes de douleur. Feu de bois sur l’échec de l’homme pauvre, Smog un peu facile, 60 années et son air de maxime d’une implacable vérité. Et l’hommage stupéfiant au 2-step avec Aux paradis, d’une beauté confondante, très efficace. Ou encore NMI, à la poésie rentre-dedans, Noir meilleur et ses allures d’introspection sur ce que Damso aurait pu faire, ou fait. Un étonnant melting-pot de sexe violent, de cruauté sociale, de ténèbres.
Nero – Welcome Reality
Année : 2011 | Label : MTA / Mercury | Genre : Dubstep / Dance
Tombée dessus par hasard sur Youtube, Promises était plutôt bon. Le reste de l’album, lui, navigue entre nostalgie bête et méchante d’un film de science-fiction, de dubstep réchauffé ou de dance efficace par moments. On retient surtout 2808 qui nous fait saliver, Doomsday en mode grand spectacle, le pas trop mal My Eyes, Innocence et sa bonne volonté qui reste acceptable, In The Way, magnifique dans sa folie, Scorpions en rythme, Crush On You, inégal, parfois inaudible mais génial à certains égards, Must Be The Feeling et son électro-pop légèrement hors sujet, Reaching Out qui tente quelque chose. L’ensemble, trop hétérogène, plaira aux puristes. On dira pour ces mentions honorables musicales des années 2010, que c’est brinquebalant, mais volontaire…
Robbie Williams – Take The Crown
Année : 2012 | Label : Island Records | Genre : Pop / Rock
Quand Robbie Williams passe, je lui pardonne toutes ses infidélités. Même quand il tire sur la corde sensible, qu’il en fait des tonnes sur le sexe, ou qu’il enlèverait sa peau pour plaire à des meufs. Et là, je veux faire un effort même si c’est dur. Be A Boy, un brin commun, Gospel, un bel effort, le casse-pieds Candy mais joyeux, Different où la beauté de Escapology, Shit On The Radio, fringuant comme un beau jeune homme, Hey Wow Yeah Yeah systématique mais super, Losers et son sublime folk, Eight Letters un brin kitsch. Tout le reste sent un peu l’album à radio, mais bon, Robbie, c’est Robbie. Se fichant des tendances, il continue de tracer son chemin, se permet de faire de beaux clip ou de montrer son derrière pour le besoin de jaquettes de disques. On ne peut que noter cela de marrant !
Hadouken ! – For The Masses
Année : 2010 | Label : Surface Noise | Genre : Grindie
Ces gens là aimaient un peu trop les jeux vidéo à mon avis. Et mes mentions honorables musicales des années 2010, c’est du poulet ?! Si leur musique s’avère aussi forte qu’un uppercut de Ryû, ça m’intéresse. Le puissant Rebirth, Turn The Lights On ordinaire mais à la progression intéressante, M.A.D un peu lourdaud, Evil, diablotin plus que démon, House of Falling Down, plombé par un refrain trop schématique, Mic Check, hors de propos, Ugly, au début prometteur, Bomshock, banal, Play The Night en mode Doom enclenché, puis Lost, lui aussi hors de propos mais pour les bonnes raisons, au déroulement comme un niveau hardcore de jeu vidéo avant la conclusion sous forme d’éclatement. Pas franchement l’album de la décennie, mais une hypergéante imparfaite, étincelante au bord du trou noir.