Troisièmement, pop & rock. Rien à redire.
Hélas, mille fois hélas, le genre perdant fut le rock. Malmené, oublié, trucidé, lyophilisé, le rock ne fut pas bien traité durant cette décennie. Un peu monolithique, il semblait regarder un peu hagard les changements autour de lui. Pourtant, le rock n’est pas encore mort. D’impressionnants groupes réussirent le pari de remettre au goût du jour les cris, la sueur et les larmes : The Kills, Black Keys, Royal Blood, Yeah Yeah Yeahs. Pourtant et malgré un changement bienvenu, le rock était victime de son système trop hermétique, et les vieux de la vieilles n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer. Si l’on juge les titres les plus écoutés de la décennie, des mélanges électro-hip-hop étaient mis à l’honneur, et point de guitare furieuse pour le constater. Mais les nouveaux musiciens hard rock n’avait pas tout lâché, et même un soupçon de féminité imprégnait les lieux : après la rupture douloureuse de The Organ en 2005 pleurée par beaucoup (trop) de journalistes, un nouveau groupe suscitait des espoirs : Savages. Soit, les groupes étaient moins nombreux, mais peut-être étaient-ils plus pointus, savaient plus cibler leur jeune auditoire plus intéressé par Ed Sheeran qu’un bon riff agressif. C’est peut-être mieux comme ça.
Comme toujours, la pop ressortait reine. Ce n’était pas pour rien que le nom était l’abrévation de popular music. Si l’on a toujours pensé que c’était un genre musical pour connasses (excusez ma vulgarité), le genre connut une incroyable mutation de 2010 à 2019. Place à des paroles dures sur la célébrité, la féminité ou la liberté de choix, la musique se faisait plus retorse, les thèmes abordés plus adultes, et surtout, l’ambiguïté sexuelle, musicale, intime s’était mêlée dans la foule. Ainsi, il n’était plus mal vu pour une jeune femme de mettre de la musique classique et du trip-hop dans des chants mélodieux (Lana Del Rey), de mélanger la dance des années 90 avec de paroles équivoques sur les sexualité féminine (Charli XCX), ou bien de rapper sur des éléments drum’n’bass sans que cela soit trop (Alex Clare). La pop psychédélique était revenue en force, débarrassée de son aura de hippie de quatre sous, plutôt tournée vers la nouvelle génération et les rêveries électroniques.
On retrouvait le goût de la guitare, des basses claires et d’un son brut, on ne trouvait plus ringard de mettre de la danse dans des clips de pop (Merci Stromae), on n’hésitait pas à sortir des albums anticommerciaux (Billie Eilish) avec une importante recherche esthétique derrière. Les réseaux sociaux avaient pulvérisé le rapport très mécanique entre le public et l’artiste, rendant flou la limite entre réalité et fiction. Des stars pop n’hésitent plus à s’afficher sur Instagram et à teaser comme des rois du marketing leur dernier album sans l’aval du label, ou sans label du tout d’ailleurs. La liberté était dans le smartphone, mais l’aliénation allait de pair avec, et il fallait savoir composer avec cela.
Rock is not dead. Et vive la pop.
12.
Midnight Juggernauts
The Crystal Axis
Année : 2010 | Label : Siberia/Inertia | Genre : Synthpop
Tout le monde oublie un peu trop souvent l’Australie comme vivier à talents. Déjà qu’ils sont fortiches en cinéma ou en pourvoyeur d’acteurs(trices) très talentueux(euses), ils n’allaient pas nous enquiquiner avec la musique bon sang ! Et pourtant, c’est oublier ce qu’ils ont apporté de super groueps : Empire of The Sun, Flume, The Avalanches, Cut Copy ! Miami Horror ! ET PUIS SAM SPARRO. Hem, pardon. Je reprends. Bon vous êtes au courant que Midnight Juggernauts avait un peu (beaucoup) impressionné la critique de l’époque avec leur merveilleux premier opus Dystopia, sorte d’opéra rock kitsch et 80s entre constellations et attaques d’alien. Changement radical de décor avec The Crystal Axis. C’est le retour à la Terre, au désert, au sable, à un univers plus proche de Max Max que de Star Wars. Une impressionnante épopée tellurique, pleine de fureur et de poussière : Induco et son clavier à la Vendredi 13, Vital Signs et sa mystique, Lifeblood Flow et son rythme de la vie, This New Technology et sa conclusion stellaire, l’agressif Lara VS The Savage Pack, le morriconien The Great Beyond qui aurait pu figurer dans un film bis, l’incroyable Cannibal Freeway. Je m’arrête là. Il est grand temps de s’attarder sur cet opus hors norme, beaucoup trop sous-estimé par excès de zèle… Personnellement, si cet excès permet de réaliser un album comme The Crystal Axis, je signe tout de suite. A écouter d’urgence.
11.
St Vincent
MASSEDUCTION
Année : 2017 | Label : Loma Vista | Genre : Pop / New Wave
Je l’avoue un peu gauchement : je ne sais pas grand chose de St Vincent. Mais oublier de la citer dans la foultitude d’albums sortis cette décennie, c’est un peu comme sauter du 8e étage sans filet de protection. St Vincent est une artiste sensible, hors normes, et surtout franche. Très franche. Et tranchante comme une lame de rasoir. Les pauvres journaleux des Inrocks avaient du laper tristement un chocolat chaud après une interview catastrophique avec la chanteuse. Faut il pour autant en faire un constat? Ce serait idiot de la réduire à une grande liane hautaine et laconique, car St Vincent déploie des trésors d’ingéniosité dans chacun de ses albums, avec sa guitare entre les mains et sa voix d’ange vengeur qui n’hésite pas à parler de sujets chocs. Et MASSEDUCTION est choc. Graphique, poussé, coloré, chamarré, il est un impressionnant carnaval de féminité grunge, de beauté fatale et de paroles dures : le grinçant Pills, Masseduction et son histoire de séduction destroy, Sugar Boy et son ambiguïté, le bien nommé Los Ageless et sa critique de la recherche de perfection, et commence une longue descente aux enfers, jalonnée de pensées sur le sexe, la drogue, la détresse urbaine. Et rien pour nous raccrocher, sauf cette incroyable voix, nous couvrant de protection ou nous laissant nus sur une route sans aide. Des arrangements faits avec un soin extrême, presque chirurgical. Des coups de scalpel dans des riffs de guitare superbes, altiers, incisifs, coupant jusqu’à la racine de nos coeurs. C’est officiel : la séduction en masse m’a tuée.
10.
Badflower
OK, I’m Sick
Année : 2019 | Label : Big Machine, John Varvatos | Genre : Hard rock / Metal
Mon corps n’était pas prêt. Ok I’M Sick, c’est un peu l’OVNI qui tombe dans la soupe de préjugés. J’avoue, je suis pas une grosse fan de métal ou de hard rock (pardon papa), mais quand un disque a du potentiel et me plaît, je l’écoute et je l’aime passionnément. C’est certainement une curiosité déplacée qui m’a fait découvrir cet album que tardivement (à peine quelques temps avant d’écrire la critique), mais je pense qu’il est temps d’en parler. On est déjà foudroyés par X-ANA-X qu’on nous achève avec The Jester, sorte de ballade tragi-comique, l’étrange Ghost, l’histoire malheureuse d’un mec qui se sent moche et nul, le pessimiste We’re In Love, ou le protagoniste pète littéralement les plombs avec des paroles coupées en plein riff désespéré, ou le cruel Girlfriend, ou sous un vernis funk mielleux, se cache la nullité d’un mec impossible de draguer la fille de ses rêves. Visiblement, la joie de vivre semble absente tout au long de l’opus, qui ressasse dans une sorte de boue noirâtre la nullité de la vie, la médiocrité de l’amour, la trahison amoureuse ou la culpabilité. On a certainement écouté trop souvent ces atermoiements de jeune Californien trois milliards de fois dans les années 2000, mais Badflower dispose de deux talents : 1/ le chanteur Josh katz, 2/ un décalage permanent entre la pop à la Jonas Brothers et la dureté voire la violence des paroles. Un mélange âcre, où l’espoir semble poindre à certains moments. Un coup de crosse dans le crâne assurément.
9.
Sky Ferreira
Night Time, My Time
Année : 2013 | Label : Capitol Records | Genre : Pop / Rock
Il semble loin, le temps des jeunes filles en fleur. On pourra remercier cette nouvelle génération de chanteuses aux ongles accérés comme des serres de vautour, d’avoir un peu dynamité le mythe de la chanteuse pop. Car ici, point de salut : sous des dehors peroxydés, Sky Ferreira a les pieds bien sur terre et chante d’une voix claire ses doutes sur les garçons, la vie en général, la sensation d’étouffement. Du déjà-entendu ? A peine avons-nous terminé l’énervé Boys, qu’on comprend que l’on tient entre les mains quelque chose de grand. Ain It Right, le fringuant 24 Hours, Nobody Asked Me et son style Kate Bush, le démoniaque Omanko, le très direct You’re Not The One, le tranchant Heavy Metal Heart, et ça n’en finit pas. Sky Ferreira en a gros sur le coeur et n’hésite pas à clamer ses réflexions crues et cyniques sur ce qui l’entoure. L’imagerie de Ferreira, c’est de la provoc sincère et bien sentie (la pochette est une photo de Gaspar Noé). Le tout dans une synthpop nouvelle génération pleine de désir et d’hormones, à l’imagerie sexy jamais racoleuse. Le hit Everything Is Embarrassing, et son spleen de jeune adulte à la recherche d’absolu est en quelque sorte la cerise sur le gâteau. Sous ses dehors de jeune vierge à la croix au cou, c’est un versant noir de féminité qui s’exprime. Night Time My Time, c’est un océan qui nous submerge et nous fait comprendre que le futur de la pop, c’est peut-être Sky Ferreira.
8.
Steven Wilson
To The Bone
Année : 2017 | Label : Caroline International | Genre : Pop / Rock
J’en avais abondamment parlé dans une chronique, mais je le répète, Steven Wilson mériterait une meilleure reconnaissance. Et en plus il fait des interviews pieds nus. Un artiste trop rare, qui sort à chaque fois une pépite et trop peu de personnes en parlent. Et bien je prends la relève. Déjà, Steven Wilson est un chanteur d’un talent et d’un charisme étincelants, aux compositions soignées, flirtant avec la Britpop et le swing des Pink Floyd. Avec conviction, Steven Wilson nous fait rêver avec ses chansons parlant de liberté (Nowhere Now), d’absolu (To The Bone), ou s’essayant au duo avec le fantastique Pariah avec Ninet Tayeb, chanteuse israélienne prometteuse, le faussement calme The Same Asylum As Before me rappelant par moments Suede dans ses meilleurs jours. La liste de chefs-d’œuvre s’allonge : Refuge, ravageur, Permanating, généreux, Blank Tapes, songeur, People Who Eat Darkness, sulfureux. Je m’arrête là, c’en est trop pour moi. Que dire face à un album qui empile les succès avec autant d’entrain qu’un supporter de foot empile les conquêtes d’un soir? Un album au charme indéniablement old-school, entraînant, vivant, doux et chaud, ou glacial et inhospitalier. Une terre étrangère où Steven Wilson apparaît comme le phare dans la tempête. Il possède un don : celui de changer alternativement d’ambiance avec une habilité et une classe folles. Rare et précieux, To The Bone s’écoute d’une oreille attentive et ne s’oublie pas.
7.
Broken Bells
Broken Bells
Année : 2010 | Label : Sony Music Entertainment | Genre : Pop
Non content d’avoir travaillé sur Demon Days de Gorillaz et St. Elsewhere de Gnarls Barkley (aka Cee-Lo Green), Danger Mouse s’intéressa à un certain James Mercer. Ce sympathique jeune homme n’est qu’autre que le leader de The Shins – un groupe assez adepte de la mélodie, disons le franchement. La rencontre eut lieu en 2004, mais il faudra attendre encore 4 ans – et Demon Days et St. Elsewhere achevés – pour que le duo enregistre leur premier album. Et ce fut donc le début d’une épopée pop incroyable. Broken Bells est clairement l’album qui ouvre une décennie sur des perspectives positives, expérimentales et fascinantes. Il se classa vite n°7 dans la plupart des charts mondiaux et The High Road fut la chanson la plus écoutée de 2010 ! Pari réussi pour un duo qui voulait surtout expérimenter et mettre l’accent sur la mélodie. La beauté tremblante de l’album, enveloppante et d’une perfection céleste, est présente à chaque chanson. Le planant The High Road et sa voix parfaite, Vaporize et ses questionnements d’adolescent, l’aquatique Your Head Is On Fire, le téméraire The Ghost Inside. Nous sommes déjà très haut dans le ciel, que la balade continue avec ses champs de nuage : Sailing To Nowhere, le stellaire Trap Doors. Mais mon coeur s’est arrêté de battre à Mongrel Heart et son déroulement aérien jusqu’à une conclusion en fanfare avec The Mall & Misery. La cloche a beau être brisée, son tintement nous hantera encore longtemps.
6.
Bass Drum of Death
GB City
Année : 2011 | Label : Fat Possum Records | Genre : Garage / Rock
Je fais malheureusement partie de ces gens qui pensent que ressortir du garage rock aujourd’hui peut déclencher des fous rires ou des bagarres, au choix. Oui, je sais que ça fait petit bourgeois, mais on ne peut pas dire que les groupes en question aient fait quelque chose pour y remédier hein ! Alors est-il possible de faire du garage en sortant des blousons noirs sans avoir l’air d’une version périmée de Chris Cornell ? Curieusement, un groupe originaire du Mississippi, appelé sobrement Bass Drum of Death allait remédier à cela, et avec une étonnante vigueur. En virevoltant avec la grâce d’un poids lourd, le groupe nous enfonce dans le crâne une tonne de chansons à fort potentiel de secouage de tête. Subitement, tout devient clair et le bordel musical laisse entrevoir des diamants bruts : Nerve Jamming et son pogo destructeur, le refrain entêtant de GB City, les riffs bouillonnants de Get Found,ou encore le toxique Velvet Itch. Tout dégringole de nouveau, la tête éclate : High School Roaches, le mécanique Spare Room, la flamme de Young Pros, l’intro orientalisante de Heart Attack Kid (et ce déroulement, mon Dieu !), le cool et relax Leaves, I Could Never Be A Man et son explication pleine d’arrogance, Religious Girls et son style country. Tout est fait pour que le fan de garage soit rassuré. Et aussi fortement secoué. La créature Bass Drum of Death se métamorphose en bombe atomique mélodique qui menace d’exploser à tout moment.
5.
Charli XCX
Charli
Année : 2019 | Label : Asylum / Atlantic | Genre : Pop
S’il y avait eu dans les années 2000 des chanteuses de la trempe de Charli XCX, je pense que j’aurai tué pour écouter ne serait-ce que 8 secondes de ses chansons. Pourquoi s’intéresser à cette jeune personne qui s’escrime à faire des duos de qualité variable avec des stars comme Icona Pop, Rita Ora ou Tinashe ? Parce que c’est toujours excitant de voir la progression d’une star en devenir. La coquille se fissure et tout s’échappe dans un festival électro-pop magistralement interprété. Si l’album est si haut dans cette liste, c’est parce que depuis Sucker, Charli XCX a parcouru un sacré chemin d’expériences sonores. Et Charli en est le pinacle. Une pop métallique, aux reflets argentés, où se reflète des guests pointus : la surprise Gone en duo avec Christine & The Queens (Chris), Cross Out Over avec Sky Ferreira, le super méga hit 1999 en duo avec Troye Sivan, le parodique auto-tuné Click avec Kim Petras, et j’en passe. On retient particulièrement le solaire Thoughts, et Blame It On Your Love en duo avec la vibrante Lizzo. Charli se mue en créature robotique, glissant du mauvais goût à la hype, du mainstream au pointu avec une force surhumaine. L’eurodance de Next Level Charli se transforme en hymne de pouvoir, les chansons tristes d’amour en cris de rage sous Auto-Tune, les duos se mélangent en une seule et même personne. Avec Charli, album personnel et intense, Charli XCX nous montre l’extraordinaire et fascinante mutation génétique d’une pop nouvelle génération.
4.
Alex Clare
The Lateness of the Hour
Année : 2010 | Label : Island | Genre : Pop / Drum’n’Bass
Quelque chose qui m’agace sans que je puisse vraiment l’expliquer, mais ça fait un bout de temps que l’on critique le drum’n’bass. Je ne compte plus les mèmes débiles et les blagues à deux balles sur ce genre complexe qui peine à s’imposer pour son rythme trop saccadé. Mais on bouge bien son boule sur de la house filtrée sans goût dans les clubs, que l’on dandine sur de la techno allemande vicelarde dans les raves et qu’on fait le gogole avec le hardcore dans les free parties. Alors laissez le drum’n’bass tranquille, vous voyez bien qu’il a des problèmes, le pauvre ! De toute façon, les Anglais n’ont pas fait grand chose non plus pour promouvoir ce genre comme il se doit et trop d’artistes s’y sont cassés les dents. Et bien, comme toujours dans la musique, on arrive toujours à un miracle, et il se nomme Alex Clare. Brièvement connu pour avoir été brièvement le petit ami d’Amy Winehouse période Back To Black, Alex Clare montre des capacités vocales impressionnantes entre la pop british et le r’n’b / soul, le tout sur un fond d’éclats drum’n’bass furibards. On aurait pu frôler la catastrophe, mais l’album, pourtant en partie produit par Major Lazer et Diplo (sic!), se révèle plein de surprises. Surtout, il arrive l’exploit d’injecter un peu de soul dans tout ce mélange. Le magistral Up All Night, l’efficace Too Close, le sombre et complexe When Doves Cry et l’emballant Whispering, tout en subtilité et en finesse. Oubliez tout. Et passez les prochaines heures à être envoûtés, tiens.
3.
White Lies
Big TV
Année : 2013 | Label : Fiction / Harvest / Universal Music Canada | Genre : Pop
Et voici un groupe mal aimé par les critiques : White Lies. Ils avaient pourtant porté aux nues To Lose My Life, magnifique hommage à Joy Division et consorts, mais les opus suivants n’avaient pas franchement remporté leurs suffrages. White Lies (anciennement Fear of Flying) a donc préféré s’aventurer du rock FM des années 80, avec, vous êtes habitué à cela, une certaine originalité. Du moins lorsque celle-ci est inspirée (l’honnête Ritual, le catastrophique Friends, ou encore le correct Five). Que restait-il donc dans tous ces essais plus ou moins couronnés de succès ? Big TV, leur vrai second album à mon sens, et qui redéfinit de façon nette le virage artistique que le groupe a entrepris ces dernières années. Bon, soyons francs, il est difficile de croire que l’album révolutionnera quoi que ce soit. Mais la tâche est exécutée avec un tel entrain et une telle bonne volonté que ce serait un crime d’oublier Big TV. Sous des dehors peu communs, l’album est un miracle caché. L’impressionnant Big TV et son roulement de batterie entêtant, There Goes Our Love Again et son chant puissant, les séparations entre chaque chanson appelées Space, le vintage First Time Caller, le mystérieux Mother Tongue, le somptueux Tricky To Love, ou encore le splendide Heaven Wait et son refrain de songe. Harry McVeigh confirme ses capacités vocales dans Big TV dans toutes leurs forces. Moelleuse, claire, cette voix nous guide vers des sentiers inconnus, et l’on se prend à déambuler sans but dans des endroits inconnus. Big TV, c’est peut-être le symbole d’une pop protectrice et personnelle.
2.
Django Django
Django Django
Année : 2012 | Label : Because Music | Genre : Pop psychédélique
Lorsque le label parisien Because Music décide d’intégrer un obscur groupe londonien de pop psychédélique à leur catalogue, personne n’y croit. Le quatuor en avait bavé avec les fausses promesses et les soucis (labels frileux, logistique pourrie) mais Paris leur avait ouvert les bras. D’ailleurs, Dave Maclean, tête pensante du groupe, n’est que le frère de John, clavier dans The Beta Band. Coïncidence ? En 2012, une explosion de psychédélique et de Beach Boys sous acide retentit. Je remercie le Ciel de nous avoir envoyé Django Django. Ç’aurait été dommage de passer à côté d’une telle pépite, car Django Django est une véritable caverne d’Ali Baba. Sonorités égyptiennes, folk celte, surf rock californien, électro française des années 60, l’album est un melting pot de cultures orientales et occidentales d’une beauté et d’une recherche étincelantes. A peine Introduction débute, que Hail Bop nous happe de son étrangeté, puis Default nous envoie bouler, il y a le furtif Firewater et son chant du désert, l’absurde Waveforms et son air de comptine sous acide, Zumm Zumm et ses faux airs de réclame arabe des années 70, Hand of Man et son spleen de cowboy, Love’s Dart et sa course de chevaux, l’explosif Wor, la tempête Storm, la tranquilité obscène de Life’s a Beach, l’africain Skies Over Cairo, ou le vif Silver Rays, belle conclusion d’un opus inventif. Django Django est une formidable réinvention de la pop britannique en mode Voyage, qui ne s’embarrasse pas de lourdeur ou de métaphores lourdingues. Parmi les dunes brûlantes du désert, peut se cacher un oasis inespéré.
1.
Tame Impala
Currents
Année : 2015 | Label : Modular / Universal | Genre : Synthpop / Pop psychédélique
Je vous prie d’accueillir sur le podium ce qui à mon sens résume bien l’époque riche que fut 2010-2019. Ca fait un sacré bout de temps que mon corps s’est imprégné de la pop psychédélique, fragile, parfois frustrante de Tame Impala, royal groupe originaire d’Australie. Et ça fait un bout de temps au long de leurs albums, ils sont restés fidèles à eux-mêmes, toujours dans la recherche d’une corde qui vibre, d’une voix qui arrache les larmes, ou bien d’un arrangement qui va tout chambouler. Innerspeaker, premier album d’un plaisir infini, Lonerism et son escapade parisienne sous influence hippie, et enfin Currents. Pourquoi cet album, les autres étaient superbes aussi. Parce que Currents c’est un troisième album et dans le jargon, c’est l’album de la confirmation. Et bien je confirme cette confirmation : c’est le meilleur album pop rock de la décennie. Ingénieux, avant-gardiste, généreux, bouleversant, les adjectifs manquent pour décrire ce chef-d’oeuvre. Un peu trop pointu pour certains, absurde pour les autres, il n’a pas manqué de marquer les esprits pour son travail. Le merveilleux Let It Happen et sa plongée en apnée, le fou Nangs et ses voix surréalistes, le terrassant The Moment tragique et vibrant, la douceur surannée de Yes I’m Changing. Je vous laisse écouter le reste. Tout l’album est le recueil d’instants passés, tristes ou joyeux, cruels ou inoubliables. Tame Impala maîtrise leur style comme un maître de la peinture travaille sa gouache. Lentement mais sûrement, ils apposent leur coup de guitare comme un coup de pinceau sûr de lui. Et nous fait chavirer. Currents, ou le miracle de la pop.