Les 60 meilleurs albums des années 2010 – Inclassables

par | 29 Déc 2019 | Music and Me

Il existe et existera toujours des étrangetés, des cas à part dans la musique contemporaine. En un mot : des inclassables.

Les recherches esthétiques poussées obligent ces groupes à atteindre une relative clandestinité, du moins ç’aurait été le cas sans Internet. Car les réseaux sociaux ont encore une fois tout explosés. Débarrassés de leur vernis de stupre, les Inclassables pouvaient désormais vivre en paix et montrer qu’ils pouvaient aussi, rêver à une petite place dans les charts. Regardez l’album de Billie Eilish, qui a remporté tous les suffrages en 2019 et qui a même osé chanter à Coachella. la chanson « Bad Guy », anti-commerciale au possible, froide mais palpitante, se retrouvait maintenant dans le top 10 des écoutes iTunes (source : les ados en manque de modernité). On retiendra aussi l’incroyable Lana Del Rey, au style pluriel mais bien affirmé, ni pop, ni électro ni même trip-hop, lorgnant sur les terres des BO de films. Elle était devenue une chanteuse sur qui compter.

Et que dire de Woodkid, petit prodige lyonnais aux clips phénoménaux ? Hélas, parfois ces albums, massivement teasés sur les réseaux sociaux, une fois sortis, décevaient un grand nombre de critiques. Pourquoi ? Trop originaux ? Trop beaux ? Trop hors-cadre ? Pas assez ceci, pas assez cela ? Pourtant, une communauté de fans se constituait et ainsi se faisait le reste de la réputation. Ou bien assumer à fond ses délires et faire dans l’excessif, au risque de perdre ses fans comme Animal Collective, ou encore Panda Bear membre de ce groupe, qui a sorti trois excellents albums en solo et qui est certainement le seul à avoir réussi son coup (Coucou Avey Tare). Mais certains reviennent du fond des abysses et restent fidèles à eux-mêmes comme Cibo Matto, avec un jazz fusion assorti de notes électro fantastiques.

L’époque est plurielle, les genres se mélangent avec frénésie, les Inclassables sont vivaces comme des crocodiles, ils savent gagner du terrain. Même si certains sont portés au nues, les autres attendent leur tour, tapis dans l’ombre. Leur succès ne sera pas garanti, mais leur reconnaissance pourrait être éternelle.

Les Inclassables sont essentiels à la survie de la musique, qu’ils continuent d’exister. Sous le marécage, se trouvent des trésors, et il vaut mieux les chérir que les fuir. Ils en disent bien plus sur l’évolution de la musique que bien d’autres survendus. Un conseil d’ami.

Roméo Elvis - Chocolat / Angèle - Brol la Suite

12.

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Animal Collective

Centipede HZ

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Année : 2012 | Label : Domino | Genre : ???

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Difficile de faire mieux après le bestial Merriweather Post Pavilion à mon avis. Mais Animal Collective a un sacré paquet d’années d’expérience et d’expérimentations derrière eux pour éviter de nous sortir des disques tout pourris. Au mieux splendide (Sung Tongs), au pire honnêtes (Painting With), les albums du groupe sont comme des mondes complexes à ciel ouvert, impossible d’en trouver deux semblables. Et ils décident de récidiver avec Centipede HZ. Que dire de plus ? C’est festif, curieux, foisonnant comme toujours. Le chargé Moonjock qui annonce la couleur avec ses mouvements, le super Today’s Supernatural et ses éclats de bonheur (l’une des meilleures chansons d’Animal Collective), le bizarroïde Rosie Oh, l’incontrôlable Applesauce, les chants folk désorganisés de Wide Eyed, l’entraînant Father Time, le foutraque Monkey Riches, l’étrangeté de Mercury Man, Pulleys et ses faux airs de ballade, Amanita et ses rêves d’Améridiens. Bref, à boire et à manger pour certains, pour d’autres, une preuve irréfutable du talent d’Animal Collective, dont le genre musical a déjà été défini comme freak folk par certains critiques. Chargé, électrisant, too much, superbement arrangé et écrit, avec des paroles recherches et une esthétique globale convaincante, Centipede Hz arrive presque au niveau de Merriweather Post Pavilion, mais avec encore plus de folie et d’explosions sonores. Ca crie, ca secoue, ça tape et ça carillonne à tout va, un véritable chaos harmonique.

Un sacré coup de boost en attendant 2020 !

Panda Bear Panda Bear Meets the Grim Reaper

11.

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Panda Bear

Panda Bear Meets the Grim Reaper

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Année : 2015 | Label : Domino | Genre : ???

Vous devez sûrement connaître Noah Lennox, qui a changé le fameux duo avec Daft Punk Doin’ It Right, et sa tendance à faire d’excellents albums solo (Person Pitch en 2007, Tomboy en 2011). Et bien monsieur a encore fait des infidélités à son groupe d’origine et explore encore des territoires inconnus avec Panda Bear Meets the Grim Reaper, que l’on pourrait traduire par « Panda Bear rencontre le sinistre moissonneur ». Nous ne sommes pas dans Mass Effect, mais dans un conte organique, parfois flippant, parfois charnel, qui communique avec une nature mystérieuse et inaccessible. Impossible de décrire exactement l’album en l’état, tant il ne ressemble à rien de connu. Folk, ou pop, rock, ou bien électro, cris d’animaux, crissements de peau mouillée, et la voix de Panda Bear, tantôt enragée, tantôt atone, qui plane au dessus de nos têtes. Passée la première écoute (difficile il faut dire, pour le non-initié), on comprend vite que l’album a beaucoup d’atouts. L’intro Sequential Circuits et ses questionnements en mode électro, Mr Noah et ses aboiements de chien, à la fois pop et rock, l’original Crosswords, le fantasmagorique Boys Latin et ses rêveries sous acide, le bien nommé Come To Your Senses, le voyage aquatique Tropic Of Cancer, Shadow Of The Colossus et son clavier animal, aux abois, le charme hypnotique psychédélique de Selfish Gene, ou l’explosion colorée, tout feu tout flamme Acid Wash, qui conclut l’album en beauté. PBMTGR, c’est une musique comme une créature, protéiforme qui change de peau et évolue face à son élément. Tout comme notre cerveau finit par s’habituer à ce chaos de couleurs et de formes.

Cibo Matto - Hotel Valentine

10.

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Cibo Matto

Hotel Valentine

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Année : 2014 | Label : Chimera Music | Genre : ???

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A ma grande tristesse, j’ai appris récemment que le Japon avait toujours réservé à Cibo Matto (Nourriture folle en italien) un accueil assez froid. Mais pourquoi tant de haine ? Yuka Honda, et Miho Hatori sont pourtant porteuses d’un talent indéniable. Il fut un temps que les moins de 20 ans ne connaissaient pas, ou un certain Sean Lennon faisait partie du groupe et fricotait avec Honda, et ses partitions exigeantes étaient saluées de tous. A présent, c’est toutes les deux que les deux Japonaises furibardes reprennent du service. Autrefois poupée manga aux formes généreuses, c’est sèche comme un bambou et blonde comme les blés que Miho Hatori nous éclaire de sa voix pop. Guitariste pour Gorillaz en 2001 et accessoirement la voix de Noodle à l’époque, Hatori a entrepris en solo avant de retrouver sa comparse qui s’était plutôt réfugiée dans le jazz. Que reste-il du talent cartoon de ce groupe hors normes, beaucoup trop rare, porteurs d’excellentes chansons (King of Silence, Sugar Water, Swords and a Paintbrush), et sans qui Gorillaz n’aurait jamais existé ?? Ils reviennent en 2014 avec l’éclectique et bordélique Hotel Valentine : en gros, un monument de jazz fusion, accessoirement électro ou pop selon, aux refrains entêtants et aux chansons accrocheuses : Deja Vu et son rap féminin en douceur, le funk classy 10th Floor Girl, l’incroyable swing de Emerald Tuesday, le flippant MFN et son refrain hypnotique. Un cocktail boosté aux vitamines C, D, K, ou G, et en prime une Hatori en pleine forme vocale qui n’a aucun mal à changer de registre comme de couleur de cheveux. Je vous prie de bien les écouter, parce qu’elles vont vous secouer comme jamais.

The Avalanches Wildflower

9.

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The Avalanches

Wildflower

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Année : 2016 | Label : Modular / XL / Astralwerks | Genre : ???

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Aah, The Avalanches… encore un miracle made in Australia. Since I Left You, le magnifique Frontier Psychiatrist. Ce groupe aurait mis plus de 3500 samples dans leur premier disque, avait secoué la presse musicale de l’époque, et soulevé des foules… mais aussi condamnés à payer des prix fous pour les ayants-droits en batailles juridiques pas folichonnes à raconter. Mais qu’importe. The Avalanches, peu enclins à s’apitoyer, travaillent sur Wildflower en 2004-2005, mais peu satisfaits, laissent l’album en jachère. Bien leur en a pris, car l’album s’est vite enrichi de 22 titres, ainsi que d’une liste de guests prestigieux : MFDOOM, Biz Markie, Michel Bernard, Father John Misty (Fleet Foxes). Après près de 16 LONGUES ANNEES d’attente (ça fait beaucoup quand même hein), Wildflower s’avère être une excellente surprise, pleine de promesses : swing soul, folie jazz, samples des années 30, 40, 50, 60. C’est tout un pan de culture américaine qui s’exprime sous le vernis de l’insouciance et de la joie de vivre. On retiendra les formidables Because I’m Me, Frankie Sinatra en duo avec le fou Danny Brown, Subways et ses chants d’enfants enchanteurs, le chaleureux Going Home et ses éclats de bonheur, le placide If I Was a Folkstar, les rêveries psyché de Colours et son disque à l’envers, Kaleidoscopic Lovers et son ambiance surannée. Définitivement un moment très agréable que Wildflower, emprunte d’une poésie rêveuse, prenante et contagieuse qui vous prend et ne vous lâche plus. Dans le chaos ambient de cette époque furieuse, le genre d’attention qui fait du bien.

Billie Eilish When We All Fall Asleep, Where Do We Go ?

8.

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Billie Eilish

When We All Fall Asleep, Where Do We Go ?

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Année : 2019 | Label : Darkroom / Interscope | Genre : Pop ?

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Si un jour on m’avait dit qu’un disque comme celui-ci arriverait à se hisser si haut dans les charts et dans la tête des gens, je ne l’aurai pas cru, sérieusement. Et à l’écoute du disque, j’y crois encore moins. Mais pourquoi ? Ne suis-je pas la première conne à prendre tout ce qui est underground et à le porter aux nues tel le Christ ? Oui c’est vrai. Mais là madame, c’est un cas vraiment à part. Cela reste un peu de la pop, avec des arrangements d’un noir profond, qui surfent sur les cordes de guitare et la voix d’une chanteuse atypique comme les doigts glissent sur le satin. Après plusieurs écoutes, c’est difficile de ne pas succomber au charme vénéneux de cette chanteuse en devenir. Car Billie Eilish, c’est une sacrée personnalité : des cheveux bleus, noirs, violents, gris même, avec des fringues streetwear griffés YSl ou Vuitton XXL, un regard bleu acier et une moue perpétuellement boudeuse. Pas tellement la nouvelle Nicki Minaj, mais une féminité plus noire, plus étrange, furieusement anti-sexy tout comme l’album. Le titre est d’ailleurs une interrogation que se faisait souvent Billie petite avec son frère : lorsque nous dormons, où allons-nous ? A vous de voir la réponse à cette question : l’emballant Bad Guy, le sombre Xanny et son rythme presque soul, You should see me with a crown et sa longue descente électro, All the good girls go to hell, délicieux et ironique, l’épuré Bury a Friend, l’écorché 8, ou encore lebeau Goodbye et son gospel en apnée. Sous les frissons de la première écoute, se cache un trésor d’authenticité et de sincérité assez rares aujourd’hui.

Sophie Oil of Every Pearl's Un-Insides

7.

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Sophie

Oil of Every Pearl’s Un-Insides

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Année : 2018 | Label : MSMSMSM / Future Classic / Transgressive | Genre : Electro ?

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J’en avais déjà fait une critique l’année dernière non sans mal tant la musique de cette étrangeté m’avait secouée. On a souvent polémiqué sur l’identité de la vraie « Sophie ». Les prémisses de l’histoire remontent à 2013. On soupçonne un DJ allemand, amateur de Trance, ou à un producteur anglais exilé à Londres, Pitchfork ne se faisant pas prier pour rester aussi cryptique que la mystérieuse musicienne. On croit le découvrir sous l’apparence d’un homme, mais la vérité éclate en 2017. Il s’agit en réalité de Sophie Xeon, une femme transexuelle, jouant beaucoup de son androgynie et de son apparence physique étrange (deux pommettes très rondes sur les joues pour accentuer le malaise), productrice et DJ écossaise. La légende était née. Après quelques EP d’excellente qualité (Product), elle sort enfin Oil of Every Pearl’s Un-Insides. Et autant le dire tout de suite, c’est certainement le disque le plus inhabituel et le plus bizarre que j’ai écouté de ma sainte vie, et je suis sérieuse. A côté de ce monstre de modernité, Gorillaz passe pour du Ed Sheeran et les expérimentations de Panda Bear pour du Coldplay. Oil of Every Pearl’s Un-Insides réserve son lot de surprises, parfois effrayantes (Ponyboy, Faceshopping), parfois merveilleuses et agréables (it’s Okay To Cry, It is Cold In the Water?). C’est sûr, personne ne sortira indemne d’une telle engeance, à moins d’avoir vécu à plusieurs époques et être un alien. Pourtant, l’étrangeté extra-terrestre de l’artiste ne l’a pas empêché de remixer Madonna, Flume, Vince Staples ou Charli XCX! Entre la normalité et la pénombre, SOPHIE ne fait pas son choix et préfère sautiller de l’un à l’autre avec une incroyable légèreté.

Lana Del Rey Born To Die

6.

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Lana Del Rey

Born To Die

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Année : 2012 | Label : Polydor | Genre : ???

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Si je peux vous donner un conseil dans la vie à tous les aspirants artistes, c’est qu’il ne faut pas trop croire au marketing. Et ça s’applique à tout, pas seulement pour la musique. Lana Del Rey en est un malheureux exemple. Beaucoup trop vendu par les maisons de disque comme un renouveau de la chanson américaine, Born To Die et a ramassé au passage une quantité astronomique de méchantes critiques s’attardant vachement plus sur le physique de la chanteuse qu’à la musique en elle-même. Le déferlement de mauvaise foi avait failli coûter la carrière de la chanteuse, mais celle-ci, téméraire, avait montré qu’elle n’était pas qu’une poupée de sucre aux lèvres pulpeuses et qu’elle en avait dans les cordes vocales. C’est vrai que Born To Die aurait pu passer à la trappe et ne devenir qu’une apostrophe dans le grand livre de la musique. Mais heureusement, Internet détruit, mais il peut rebâtir. Et l’édifice fut rénové. Born To Die, débarrassé de ses couches de sucre et de ses polémiques débiles, est un excellent disque. Malgré moi, je l’avoue. Si l’on prend soin d’écouter chaque chanson sans avoir un âne qui brait dans nos oreilles au sujet du supposé non talent de la chanteuse, on se retrouve submergé par la grâce. L’hymne Born To Die et ses questionnements humains, Off To The Races et ses sauts de voix incroyables, le rêve américain Blue Jeans entre Elvis Presley et David Lynch, Video Games et sa mélancolie religieuse, Diet Mountain Dew et son « slam » parfait, l’entêtant Summertime Sadness. Quelque part entre la BO de film, le trip-hop de Bristol et l’Americana des années 60, Lana Del Rey trace sa route dorée sillonnée d’arbres d’argent.

Woodkid The Golden Age

5.

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Woodkid

The Golden Age

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Année : 2013 | Label : Green United Music | Genre : ???

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C’est de bonne guerre, disent les Anglais, que les Français soient parfois meilleurs qu’eux dans la musique électronique. Et hélas, je ne peux que leur donner raison. Woodkid ne va pas vraiment arranger ce constat. Mais bon, à chacun ses jouets, eux leur pop à la Beatles et à nous Ed Banger Records, crotte ! Mais si l’on est ni électro et ni pop, mais un peu entre les deux ? C’est plus compliqué de survivre. Mais la vie étant ce qu’elle est, un miracle allait se dérouler, et il nous vient de Lyon en plus. Yoann Lemoine, ancien de chez Emile Cohl, réalisateur, écrivain et maintenant artiste-interprète, sortit The Golden Age en 2013. Et il souffrit également du même mal que Born To Die. Certains ne furent pas dupes du côté froid, presque clinique de l’album, qu’on ne savait où mettre. Sans me laisser avoir, je fus prudente sur le choix de l’album, mais force est de constater que The Golden Age a tout cassé à sa sortie, et continue encore aujourd’hui à nous émouvoir, alors que trop d’artistes ont mal repris de ce style sans inspiration. Car de l’inspiration, Woodkid en a en pagaille. Quelque part entre la musique baroque, l’électro british, le pop rock, The Golden Age est un monument. Et Woodkid en est l’architecte roi. Du sublime the Golden Age, du royal Run Boy Run, du mystique I Love You, ou encore du poignant Iron et sa bataille de chevaliers, Woodkid mélange le Moyen-Âge farouche, la soul anglaise, le noir et blanc dans un maëlstrom mélodique d’une beauté étourdissante. Mal aimé à sa sortie, il fut progressivement accepté par ses pairs, comme l’étrange objet musical qu’il est. Sur un piédestal en marbre ou un rondin de bois, The Golden Age irradie de lumière et de force.

Gorillaz Plastic Beach

4.

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Gorillaz

Plastic Beach

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Année : 2010 | Label : Parlophone | Genre : ???

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Ils étaient de retour, cinq longues années après le somptueux Demon Days sorti en 2005. Et ils étaient enfin là, à me tendre leurs bras pixellisés et leur face de gorille grimaçant. C’en était fini de la politique de Bush et de la noirceur de l’après 11-Septembre. 2010 était le début d’une nouvelle ère faite de promesses, de drames et d’espoir. Plastic Beach était né du fracas d’une mer polluée, de la folie des hommes et du pouvoir d’un puissant chef d’orchestre : Damon Albarn. A peine avait-elle émergé que les océans s’étaient déchaînés contre elle. Trop différente, trop chaude ou inhospitalière, trop polluée ou trop naturelle. Subsistaient Noodle, 2D, Murdoc et Russel devenu géant à cause du pétrole. Ils avaient morflé et avaient vécu milles vies et mille morts. Et pourtant, ils avaient résisté aux flots dévastateurs du marketing, du mainstream et du streaming musical. Sous forme d’un long poème dénonçant la pollution des océans, le spectre des affrontements, ou le mélange racial, Plastic Beach dressait son plan de table digne de la Reine d’Angleterre. Au menu : Intro et son orchestre multiculturel, Welcome To The World Of The Plastic Beach et Snoop Dogg en maître d’hôtel, White Flag et son rap superbe sous fond de musique traditionnelle syrienne, le mécanique Rhinestone Eyes, Stylo et son flow format tempête, Empire Ants et son spleen tragique, On Melancholy Hill, véritable bijou intemporel en mode Blur, le merveilleux Plastic Beach. Le banquet fut copieux et bien garni, le festin fut à la hauteur de mes espérances, j’en repris de chaque bouchée. Et je m’en souviens encore, la larme à l’oeil, de cet instant magique passé en leur compagnie.

Moodoïd Cité Champagne

3.

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ANIMA

Thom Yorke

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Année : 2019 | Label : XL Recordings | Genre : ???

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Plus le temps passe, et plus ce bon vieux Thom Yorke me terrasse. Déjà le merveilleux Kid A de Radiohead m’avait pas mal remué à l’époque (2000, une éternité), et Thom Yorke remet le couvert avec l’obscur ANIMA. Et si Nigel Godrich s’en mêle encore une fois (on lui doit Talkie Walkie de Air, Natalie Imbruglia, Radiohead), c’est pour le beau. A l’écouter, on voit surtout que Yorke en a gros sur la patate et décide encore une fois de tout plaquer pour nous livrer un instantané de ses pensées. A l’image de cet homme qui tombe dans un abîme (ou un triangle inversé?), nous sommes plongés dans un univers ambigü et inconnu. Troublés, nous pénétrons dans le brumeux Traffic. Last I Heard et sa mélancolie contagieuse, Twist et sa fragile existence, Dawn Chorus et sa voix gracile et timide, I Am A Rude Person, et son caractère placide, Not The News et sa tranquilité inquiétante, The Axe et ses fantômes klaxonneurs, Impossible Knots et sa froideur clinique, Runwayway et sa guitare folk au milieu d’un lac gelé. Glacial, repoussant à certains moments, ANIMA n’est pas facile à comprendre et à aimer. Comme un animal sauvage, il faut du temps pour l’apprivoiser et l’aimer. Au détour d’une corde de guitare, bruit une nature sauvage enfouie, où une bête y surgit pour essayer de mordre. Dans le froid de l’hiver, Thom Yorke joue les éclaireurs et nous indique la route à suivre. On aurait presque envie de la suivre, mais nous tombons dans un trou. Dans ce trou, il y a des fantômes, ils savent et murmurent des choses. Dystopique, grinçant, mais passionnant, ANIMA est un chant intérieur qui finit par nous saisir à la gorge et nous laisse coi.

Spank Rock - Everything Is Boring and Everyone Is a Fucking Liar

2.

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Spank Rock

Everything Is Boring and Everyone Is a Fucking Liar

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Année : 2011 | Label : Bad Blood | Genre : ???

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On ne parle que d’artistes blancs ici, et cela m’embête. Pourquoi le rap/hip-hop n’aurait pas envie d’un peu d’expérimentation lui-aussi? On connaissait Danny Brown et son rap d’outre-tombe, Kaytranada et ses délires orgiaques soul, mais peu connaissent Spank Rock. De son vrai nom Naeem Juwan, Spank Rock se fait connaître en 2006 avec YoYoYoYoYo avec son hit Bump. Depuis, il avait réalisé des remixes pour Björk, Amanda Blanks, ou même Diplo. Et on l’avait perdu de vue. Mais en 2011, sort un second album d’une puissance mal contrôlée et d’une force cradingue et sans queue ni tête : Everything is Boring & Everything is A Fucking Liar, en gros « tout est emmerdant et on est tous des putains de menteurs ». Ok, pour la légèreté on repassera. Mais ne vous laissez pas bluffer par ce titre peu commun, car l’album sort l’artillerie lourde. Ici, la musique se mue en création artistique, à mi-chemin entre l’Oulipo et le surréalisme. On retient surtout Nasty en duo avec Big Freedia, le parfait Car Song en duo avec Santigold,le ragga déglingué de Birfday, la danse infernale de The Dance, #1 Hit et son discours potache sur le sommet des charts, le sale Turn It Off. Mon coeur s’emballe, l’album aussi. Alors que l’ensemble a un minimum de tenue, tout se casse par terre dans un fracas épouvantable. On surfe du hip-hop old school à de la techno, du breakbeat au punk rock sans aucune raison. Le tout saupoudré de textes d’une poésie certaine, entre le crado et le lourdingue. Une curiosité nonchalante mais assez attachante, et un vrai OVNI qui s’écoute comme on le sent.

L'Impératrice Mata Hari

1.

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Sébastien Tellier

My God Is Blue

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Année : 2012 | Label : Record Makers | Genre ???

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On ne répètera jamais assez, Record Makers est un label assez stylé. Créé par le groupe Air et leur associé Marc Teissier du Cros en 2000, le label eut le mérite de découvrir de grands noms comme Arpanet (originaire de Détroit), les français Klub des Loosers, Turzi, Damien et DSL, et les Australiens Midnight Juggernauts. Tout le mérite leur revient. Et ils ont Matthieu Tonetti en réalisateur de clips en plus. Dans tout ce vivier d’artistes extrêmement talentueux, survint un jeune premier aux lunettes de soleil impeccables et à la barbe fournie : Sébastien Tellier. C’est plutôt compliqué de le décrire : il représenta la France en 2006 à l’Eurovision (prestation super, score zéro), sortit un album acoustique L’Incroyable Vérité dans les bacs techno de la Fnac, et a réalisé des albums sur la politique (Politics), la sexualité (Sexuality), et logiquement, il manquait le fondement même de notre existence : la spiritualité. Je parle de la vraie, celle qui fait rêver pas celle du porte-monnaie. Et ça, Sébastien Tellier nous l’a bien fait comprendre. Il sort alors dans l’attente de l’album l’Alliance Bleue en hommage à une boisson psychotrope prise à Los Angeles qui lui aurait fait voir une dimension bleue. Tellier veut rassembler des fonds pour créer un parc d’attraction autour de l’enfilade joyeuse à base de coca et de jolies pépées. Vous arrivez à suivre ? Non ? On s’en tape. My God Is Blue sort donc en 2012. Banco, c’est certainement son meilleur album. Et le plus invraisemblable aussi. Quelque part entre François de Roubaix, Giorgio Moroder ou la classe de Christophe période années 70, l’on se perd dans un dédale outremer : Pépito Bleu et son amour des biscuits, The Colour of Your Mind (splendide clavier), Sedulous et son caractère érotique, Cochon Ville et son délire orgiaque, l’unique Magical Hurricane, le pompier Russian Attractions. Mais pas d’inquiétude, point de noyade, le gourou Tellier te sauve et revient te prendre. Au sens propre comme au sens figuré.