Le paradoxe des biopics musicaux - Alworld.fr

Le paradoxe du biopic musical

Reconnu genre cinématographie à part entière, le biopic musical s’est bien installé. Quoi de plus vibrant au fond que de voir la vie de sa star préférée portée à l’écran ? Mais une complaisance voire de l’ennui peut se faire sentir. Un biopic musical est-il forcément un mauvais film ?

L’idée d’une hagiographie mouvementée et pleine de peps est tentante pour un artiste à dépeindre. Tout un univers en mouvement, souvent condamné à resté scellé sur papier, devient alors palpable, réalisable, montrable. On se plaît à voir défiler littéralement sous nos yeux la vie incroyable de nos artistes préférés. Toutefois, malgré de rares occasions, l’exercice s’avère périlleux et rarement réussi. Certains assument sans complexes leurs délires (Elvis, Rocketman), un peu moins leur fragilité à fleur de peau (Back to Black), voire frôlent la crise de foi (Bob Marley One Love), ou pire, gomment des éléments peu reluisants pour le grand public (Bohemian Rhapsody). Des exemples réussis ont tout de même fait leur chemin, mais curieusement en insistant sur l’intimité tragique (Tina), ou bien la rage contenue (The Rose), ou la mélancolie vénéneuse (Ray, Walk The Line). Aussi charmants et délicieux soient-ils, les biopics musicaux posent une question plus légitime qu’il n’y paraît : est-ce réellement nécessaire de tout montrer, divulguer d’un artiste qu’on avait toujours adulé comme tel? On pourrait se poser l’autre question : est ce que expliquer une existence célèbre, aussi merveilleuse soit-elle, n’est ce pas au final la corrompre? La dissoudre ? Oui on va loin dans l’explication philosophique, mais la plupart du temps ce qui veut être une célébration devient rapidement un miroir déformant de consensuel, ou de statu quo. Un comble, lorsqu’on veut retranscrire une ballade symphonique et visuelle pleine de bonnes attentions. A l’heure du consumérisme, de la guerre de l’image et d’un marketing de plus en plus agressif, on doute fortement de la bonne volonté d’une telle opération. Le tiroir caisse va sonner plein à ras bords, les kids du millénaire auront leur bande son TikTok et les anciens pleureront de joie devant une énième peinture de Paul McCartney en prothèses plus vrai que nature. Complaisance, ennui, mauvaise énergie, le biopic musical souffre encore d’écueils. Mais le problème est plus large qu’on ne le pense.

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Une story en pilote automatique, tu raconteras

Biopic : contraction de « biographical motion picture ». Un biopic est un genre cinématographique, sous forme romancée, qui retrace la vie ou le parcours d’un personnage qui a réellement existé. A ne pas confondre avec le documentaire, qui raconte le réel, celui n’a pas été trafiqué (on l’espère). La version gentille de la définition du biopic serait la suivante : une histoire (souvent incroyable) d’une personne partie de rien (en général) devenant l’un des plus grands artistes qui soient. En n’oubliant pas de saupoudrer de quelques anecdotes croustillantes (et pas forcément utiles) sur son parcours (forcément) retors et (toujours) parsemé d’embûches. Dans le pire des cas, cela se finit en mariage (la vis comica en plus américain) ou pire avec une mort (forcément) tragique. Et emphasée si la personne est jeune (toujours un plus).  On se surprend à aimer le fait de savoir à quelle sauce l’on sera mangé en fonction des aspirations du réalisateur chargé de l’affaire. Comme toute aventure cinématographique en somme. A force d’abnégation et de volonté, le biopic musical est devenu un genre cinématographique à part entière. Et aussi fou que cela puisse faire, un genre reconnu et assez populaire. Avec ses détracteurs et ses défenseurs. Ses chefs-d’œuvre et ses nanars. Et tout ce qui tourne autour de l’éthique, le voyeurisme, les zones d’ombres. Au risque au final, d’être en pilote automatique, avec une formule bien pensée, et assez interchangeable. Comble de l’ironie, le magazine anglais étudiant indépendant The Boar se fend d’un article équivoque « la formule familiale du biopic musical ». Comme l’écrit Dennis Bingham dans Whose Lives Are They Anyway: The Biopic As Contemporary Film Genre :

L’attrait d’un biopic réside dans le fait de voir une personne réelle qui a fait quelque chose d’intéressant dans sa vie, connue principalement du public, transformée en personnage.

Le biopic musical a connu ces dernières années une impressionnante renaissance, avec tout ce qui implique de succès financier surtout. Pensez donc, réaliser un biopic musical ne nécessite pas tant d’argent que ça comme pour un film de super-héros. Pour n’importe quel studio, le film musical est un pari sûr. Le budget, même s’il est conséquent, n’arrive jamais à la cheville d’un Marvel par exemple. On utilise les effets spéciaux, la 3D et autres, en dernier recours, pour reconstruire des lieux, des ambiances. Pour le rôle principal, un acteur débutant peut faire l’affaire, moins cher  qu’un Brad Pitt ou un George Clooney. Il n’y a pas d’obligation d’acheter les droits aux artistes, puisque l’histoire peut être montrée, en toute filouterie, comme une « représentation artistique ». Comprenez une interprétation. Certes les droits musicaux sont conséquents, aussi l’accord de la famille ou le budget avocat en cas de procès pour diffamation. Le retour financier est à mesurer sur la base de fans de l’artiste. Comprenez aussi, pour quelqu’un comme Bob Marley, c’est tout bénef… puisque les fans de Bob Marley veulent voir Bob Marley sur l’écran. Un autre point de taille : la curiosité morbide. L’humain est une espèce qui ressent ce besoin de savoir la vérité, surtout sur les choses qui le touchent. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le biopic musical s’intéresse davantage sur les puissantes connexions émotionnelles entre le fan et l’artiste. En soi pas vraiment un crime, mais étant donné que le talent du réalisateur varie beaucoup, cette connexion n’est pas toujours évidente. Pire même, dans le milieu, on se gausse du biopic musical lié au cinéma comme la techno sur l’électro : un mal nécessaire. Voire même, dans une version insultante, comme « appât à récompense ». Il faut voir les résultats qu’Elvis a eu : 3 Golden Globes du Meilleur Acteur, Meilleur Réalisateur, Meilleur Film Dramatique, ou Bohemian Rhapsody qui remporte l’Oscar du meilleur acteur. Une vérité il faut le dire.

Mais qu’est ce qui plaît sincèrement au public à qui le biopic musical s’offre sans retenue? Comment expliquer un tel engouement ?

Une pelletée de clichés tu ajouteras

Le plus douloureux dans le biopic, c’est le cliché. Ne nous voilons pas la face, notre vie est remplie de clichés. Cela est plus problématique pour un genre aussi codifié que le biopic. Codifié le biopic? Etes-vous aveugle? Il n’existe aucun biopic sur Terre ne parlant pas de sacro-sainte rédemption, de drogues et autres paradis artificiels, d’enfance malheureuse ou de succès monstre. Bien entendu, ces informations ne sont pas nouvelles elles se trouvent dans tous les films de tous les genre du monde. Cela devient plus retors lorsqu’ils sont vendus comme « plus-value » comme un objet marketing comme les autres. Surtout pour un biopic. Au risque de paraître répétitif, même dans un bon biopic. C’est le cas pour Rocketman, flamboyante biographie d’Elton John, qui commence par une réunion des Alcooliques Anonymes. Celui-ci déroule alors dans une rythmique ultra-calibrée, son enfance difficile auprès d’un père absent (il partira refaire sa vie ailleurs) et une mère fuyante, son ascension jalonnée d’embûches, sa rencontre avec Faust, pardon, son producteur et amant John Reid. Enfin arrivent le succès foudroyant, les ballades musicales, les problèmes d’addiction, et le sexe. Bah oui faut bien vendre! Et autant le dire tout de suite, cela fonctionne plutôt bien. J’ai même pleuré durant certaines scènes et les musiques d’Elton John sont assez iconiques pour se laisser porter par le film. Réalisé en plus par le tâcheron Dexter Flecher qui finira Bohemian Rhapsody, et bien l’ensemble est plaisant, dynamique et réussi. Pourtant, le film n’a rien d’exceptionnel. C’est une rengaine qu’on va déjà vu, voire revu avec plus ou moins d’ardeur. Et des acteurs plus ou moins convaincants. Il n’est pas difficile de faire un bingo de biopics musicaux,  de cocher la fameuse case « enfance trouble » et de constater que votre pauvre grille est déjà noircie. Oups.

Suivre la vie des artistes que l’on aime est une chose, voir le même chemin recommencer encore et encore en est une autre. D’ailleurs il n’est pas difficile de constater que c’est toujours les mêmes clichés qui reviennent. Enfant abandonné (Get On Up, Rocketman, Ray, Bob Marley One Love) ou ignoré (I Wanna Dance With Somebody, Cloclo, Dalida) ou bien enfant incompris (Back To Black, Bohemian Rhapsody, The Rose, Elvis), voire carrément exploité (Respect, Selena, La Môme, Judy). Bref, y’en a pour tout le monde. Et quand cela grandit, pas mieux. L’adolescent est furibard et commence ces petits concerts à la va-vite avant de rencontrer comme par miracle (cela existe hein), la ou les personnes qui flatteront son égo. Puis la valse des producteurs et de l’argent commence. Avec toujours les mêmes attentes. Et les mêmes résultats. Un frisson d’amertume me secoue. Surtout quand on sait que les acteurs et actrices, ont toute la force du biopic qui repose sur leurs frêles épaules. Quand ils savent jouer. C’est le cas pour la majorité des biopics, même dans un film décevant comme Bohemian Rhapsody, avec un Rami Malek en Freddie Mercury plus vraie que nature en dépit de fausses dents proéminentes risibles. Austin Butler dans Elvis, est impérial et m’a arraché des larmes à la fin du film avec l’interprétation de Unchained Melody en mode fin de vie. Bette Midler est vibrante et magnifique dans le vrai-faux biopic The Rose en fausse Janis Joplin tarée mais touchante. Le film se laisse voire par la simple magie d’un jeu d’acteur convaincant qui pourrait fournir l’excuse de voir un biopic. Seulement ce n’est pas le cas pour tout le monde. On zappera vite sur le téléfilm odieux Man in the Mirror: The Michael Jackson Story avec un Flex Alexander aux fraises. Et que dire de Bob Marley One Love avec un Kingsley Ben-Adir complètement pété, la bouche constamment ouverte et un acting absent (sauf vers la fin). Ou encore Back To Black avec Marisa Abela qui souffre de la comparaison et qui n’arrive pas à porter les épaules de la chanteuse écorchée au point d’en faire une pâle copie destinée aux costumes d’Halloween les moins inspirés. Quand cest parfois même la ressemblance qui fait défaut comme pour I Wanna Dance With Somebody ou l’actrice Naomie Ackie, pourtant convaincante, passe pour être une intermittente du spectacle tentant vainement de ressembler à Whitney… Re-oups.

Cela prouve bien que même si les clichés existent et pullulent dans le biopic, le charme du film repose en grande partie sur l’acteur principal. En gageant qu’il joue bien et se démarque. Ce qui fait, parfois (voire presque toujours) effondrer l’édifice de l’incrédulité. Je ne dis pas que faire étalage d’une vie difficile n’est pas une bonne chose. Elle est problématique lorsqu’elle est simplement cosmétique… au point de rendre le film ennuyeux. Les décors reconstitués ne sont que de vagues décors sans âme, les personnages importants de l’histoire ne sont là que pour faire de la figuration, les problèmes sociétaux sont passés à la trappe. S’attarder sur des problèmes de fonds, voire politiques, est toujours risqué, mais plus convaincant que de faire une grosse et bête hagiographie sans saveur. Certains films y parviennent, comme All Eyez On Me ou le sulfureux Straight Outta Compton parlant de bavures policières dans les années 90 avec férocité et violence. Mieux, ces récits s’imbriquent dans une réelle prise politique s’entremêlant logiquement avec un parcours musical engagé et fort. Citons Selena, qui malgré son caractère film pour ados sur Selena Quintanilla, parle de la communauté latino avec une rare profondeur et une douloureuse lucidité. On y critique Reagan et sa politique raciste, on parle de la difficulté des latinos à percer dans la musique, surtout les femmes. Ce qui rend le film moins inoffensif qu’il n’y paraît. On peut parler de Lady Sings the Blues, vibrant hommage à Billie Holliday par Eartha Kitt qui raconte sans fards des rafles policières sur des Noirs, de la ségrégation et du militantisme. Même The Rose se permet de montrer le New York crapoteux des années 70, avec ses peep-shows, ses cinémas porno et ses drag queens un peu trop avinées, montrant un instant, l’envers du rêve américain. Même un film comme Tina, avec l’excellente Angela Bassett, parle de violences conjugales avant MeToo, voire de manipulation mentale et de viol conjugal, une première. Mais à côté de ça, un trop grand nombre de films se complaît dans une surenchère dispensable de clichés fumeux n’existant que pour servir leur but : émouvoir. Si le baroque et l’excès peuvent être réussis et même aider le récit comme c’est le cas pour Elvis, l’inverse est possible. Citons Love & Mercy sur les Beach Boys et son rythme lancinant et mélancolique, qui sied parfaitement à ce génie qu’est Brian Wilson. Un chef d’oeuvre du genre comme Control sur Joy Division est le parfait exemple de la mesure et de la minutie dans sa mise en scène en noir et blanc épurée. Une leçon qui hélas, sonne dans le vide, au vu des résultats moyens que l’on a recueilli ces dernières années. Mais le pire reste à venir.

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Une certaine réalité tu transformeras

Autre point fâcheux, une tendance trop vive à modifier la réalité. C’est un comble quand on vise à montrer de façon « véridique » la vie de notre artiste préféré. La encore, de nombreux griefs extérieurs s’ajoutent aux problèmes. Straight Outta Compton, produit par Dr Dre et Ice Cube enjolivent la genèse de leurs hits pour mieux coller aux violences policières montrées à l’écran, ou bien la reformation de NWA qui en réalité n’a jamais eu, Eazy-E décédant trop tôt pour cela. Il ne faut pas oublier que la famille de l’artiste, si elle existe encore, a un inébranlable droit de regard sur le patrimoine artistique de l’artiste. L’ennuyeux Back To Black ose dépeindre Mitch, le père d’Amy comme un type formidable, alors qu’il n’a jamais été que le pauvre idiot et le père absent dont Amy souffrira longtemps. Et qui d’une certaine manière, a conditionné sa relation avec les hommes. Et bien il est producteur du film pardi. Et que dire de la relation extrêmement problématique entre Blake et Amy, dépeinte comme un film romantico-gothique, alors qu’il s’agit d’un rapport de force toxique et dégénéré où la drogue et l’alcool coulent à flot au point d’avoir tué Amy. Non. On se permet d’enlever des moments tout bonnement essentiels pour laisser une copie pâle et dangereuse comme Bohemian Rhapsody ou l’homosexualité de Mercury est cachée, voire omise par « pudeur ». Pardon? Je pense que toute personne saine d’esprit à qui on demande ce que signifie gay vous répondra Freddie Mercury sans hésiter. J’ai envie de hurler, mais ce n’est hélas pas la seule chose problématique dans ce film, ni dans les autres d’ailleurs. Get On Up sur James Brown ne parle que très peu du caractère violent, dominateur et psychopathe de James Brown sur les femmes. Parce que vous comprenez, il fut abandonné enfant par ses parents et par sa mère, et on a un beau biopic tout frais à vous proposer, ce serait bête de dépeindre le sujet du film comme un monstre. Ajoutons-y une auto-censure très gênante sur les fêtes alcoolisées dont il a été l’investigateur et vous avez un cocktail malsain de masculinité toxique. Cela devient pire lorsque cela parasite le processus créatif et les chansons produites par l’artiste dont on parle. Dans Back to Black, on réussit l’extraordinaire exploit de montrer très peu de scènes musicales pourtant fondamentales pour Amy qui a su remettre au goût du jour la soul des années 60 ! Tout cela au profit d’historiettes familiales et sentimentales pas franchement passionnantes. 

Ce qui aurait pu aider à une certaine compréhension de la vie d’un artiste brise littéralement cette volonté de montrer la « réalité« . Et se permet même de tordre vicieusement le propos du film en proposant une version complètement à côté de la plaque. On peut tout de même remercier cette tendance de « réhabilitation » qui permet de remettre à leur place beaucoup de choses oubliées importantes. Notons la première épouse de Johnny Cash dans le magnifique Walk The Line, Vivian Liberto, dépeinte comme une femme BLANCHE hystérique refusant toute vie normale à Cash. Et réduite à une tache d’encre dans le futur couple June Carter et Cash. Triste quand on sait que cette femme a énormément aidé son mari, qu’elle était d’origine NOIRE métisse et militante, et qu’elle souhaitait vivement que son époux ait du succès. Le documentaire « Vivian & Johnny » réalisé par Matt Riddlehoover et sorti en 2020, réhabilite enfin le premier couple Cash. Les nombreuses interviews des collaborateurs, proches, voire anonymes sur le véritable visage de nos idoles contribuent à démystifier leur aura et les rendre plus humains, et plus problématiques. Pour un Dr Dre, un Eazy-E ou un Ice Cube, combien de femmes humiliées, battues, saignées à blanc ? Le témoignage déchirant de Michel’le, chanteuse de hip hop, à Gawker en 2015, sur ses affrontements physiques avec Dr Dre et Eazy-E, en est la preuve. Son personnage n’est pas présent dans le film par ailleurs, bien qu’elle ait tenu une place importante au sein de NWA. Encore une fois, preuve que la réalité l’emporte toujours. Même si elle contient des vérités pas toujours à dire ou entendre. Ceux qui sont encore vivants peuvent témoigner mais ceux disparus ont emporté avec eux leurs vérité et leurs propos. Ce qui rend la réalité du biopic musical tordue et forcément remaniée. Donc un film qui était au final, toujours prévu pour se planter ?

Un succès certain, tu remporteras

Aussi incroyable que cela puisse paraître, et malgré tous ces écueils, le biopic est populaire. Encore plus maintenant ou les technologies évoluent et permettent des univers plus vrais que nature. Mais le retour sur recette peut parfois s’avérer épineux. Exemple : le studio indépendant anglais GK Films, en charge de Bohemian Rhapsody (responsable de Tomb Raider, Victoria ou encore Dark Shadows) bénéficie de 55 millions de dollars de budget pour le film. Un budget très inférieur à un Marvel, mais conséquent pour un studio de cette envergure. Malgré un succès record de 288 millions de dollars aux USA et près de 910.8 millions de dollars ans le monde, le studio n’a eu aucun bénéfice net en raison de ses innombrables dépenses. S’ensuivra d’ailleurs un procès entre le scénariste Anthony McCarten et le studio, pour une perte de 51 millions de dollars. Cependant, le procès semble perdu d’avance car selon le studio, Mc Carten n’est redevable d’argent que via sa définition de “produit net”. On pourra donc compter sur le merchandising et la réédition OBLIGATOIRE (et presque risible) des albums de Queen. Qui de toute façon connaîtront le succès : le groupe n’a jamais été aussi riche qu’à la sortie du film. On peut toujours compter sur le merchandising, les goodies et autres symboles de la consommation pour amortir les coûts. Bob Marley : One Love a remporté dès sa première semaine près de 700 000 dollars et a même dépassé Rocketman en terme de recettes : 96,9 millions de dollars rien qu’aux Etats-Unis. Que dire des films cités plus haut, nuls ou pas nuls, ils ont (presque) tous franchi la barre des 30 millions voire des 50 millions de recettes. Avec parfois des records absolus comm Elvis et ses 280 millions de dollars de recettes dans le monde. Les articles de presse ne tarissent pas d’éloges sur la formule « bankable » du biopic musical, n’hésitant pas à parler de « poule aux oeufs d’or » ou de « machine à cash ». A voir les scores dithyrambiques de ces films, on ne peut que leur donner raison.

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En revanche l’accueil critique est plus mitigé. Voire carrément tiédasse. Des films comme Bohemian Rhapsody ou Back To Black n’ont pas fait l’unanimité. Télérama parle du premier comme d’un « biopic taillé pour le culte » contenant un « chapelet d’inexactitudes et d’omissions ». Ecran Large se fend d’un « portrait qui Queen » et descend logiquement le film pour sa paresse scénaristique. Les Inrocks parlent d’un film « beaucoup trop officiel » pour faire vrai, Libération d’une « vacuité sidérante » ou le Monde d’une « biographie sans audace ». Quand Back to Black souffre de « d’un récit indigne » (le Figaro), ou d’une « Amy édulcorée » (le Devoir) et « d’un récit à l’eau de rose indécent ! » (la Presse). Oui, la critique n’est pas tendre car la critique n’est pas dupe. Et ce n’est ni une choucroute factice ou des dents de carrelage fausses qui vont arranger les choses. La presse indépendante de Net se fend d’articles laconiques sur la surenchère de biopics musicaux à venir. Pire, elle se montre complètement indifférente aux nombreuses sorties déjà prévues par les studios en date, prophétisant une mauvaise critique mais un succès certain : le biopic de Bob Dylan avec Timothée Chalamet, les 4 films sur les Beatles, ainsi qu’un futur film sur Michael Jackson. Et pas d’inquiétude à avoir sur la réception du milieu du cinéma, elle sera de toute façon établie. Il faut voir les nombreuses récompenses du cinéma qu’a obtenu Elvis : 4 Oscars Australiens (AACTA), Golden Globe du meilleur acteur, 2 BAFTA, 8 nominations aux Oscars. Bohemian Rhapsody rafle 4 Oscars, 2 BAFTA, et 2 Golden Globes. Le biopic musical n’est pas qu’une machine à cash, elle est aussi une usine à prix. Et ça, tout le monde dans le milieu l’a bien compris. S’ensuit alors une pelletée de nouveaux documentaires, mixtapes inédites, témoignages rares et précieux, bref n’importe quoi pour alimenter le mythe et attirer les spectateurs. Et le pire c’est que tout le monde s’y est mis, des anciens pontes de la série moderne comme HBO comme le streaming légal comme Netflix ou Amazon Prime ! Et vu le « peu » de moyens demandés, ce serait bête de s’en priver…

Un biopic musical discutable, tu auras crée ?

On ne le sait que trop bien, le biopic musical a le vent en poupe. Décrié, conspué même par certains médias mainstream, le genre connaît malgré lui une étonnante apogée. Etonnante, oui, à cause de tous les points que j’ai cité auparavant. Malgré les écueils évidents dont tombent la plupart des biopics, le genre est aussi populaire que les films Marvel, à en croire The Guardian dans un article instructif. Dans un marché aussi concurrentiel que le marché américain, le biopic est une bouée de sauvetage bienvenue qui cumule prix, honneurs, argent et renommée. Et la source n’est pas prête à se tarir, on cite les adaptations des vies de Grateful Dead, Billy Joel, Boy George, Maria Callas, Linda Ronstadt, Fred Astaire, Carole King, George Michael, les Bee Gees, et Keith Moon à venir. Et tant pis si l’on vient à gommer des contours peu reluisants pour rendre le tout plus glamour. Et pourtant, malgré tous ces mauvais points, il n’est pas toujours nul. Des exceptions confirment la règle, mais curieusement, le biopic est plus intéressant quand il n’est pas biopic, comme c’est le cas de The Rose, ou le génalissime Walk Hard : The Dewey Cox Story, parodiant le genre du biopic avec intelligence, humour et gravité. 

Discutable, oui, le biopic musical peut l’être. Mais c’est oublier le travail formidable de la machine hollywoodienne. Les acteurs sont dans leur grande majorité talentueux. Le délire fatiguant de folie visuelle qu’est Elvis est incroyable d’inventivité et de recherche. Rocketman n’est poignant que lorsqu’il lâche les rênes de son parcours calibré et qu’Elton parle aux fantômes de son passé. Ray émeut quand Ray Charles retrouve sa mère dans une autre temporalité où ils se parlent enfin. Même le décevant Bohemian Rhapsody, arrive à plaire dans ses trop rares scènes intimistes ou Mercury se retrouve face à lui-même. La déchirante scène de fin de The Rose me hante encore, même si dans un parcours aussi fracassé, c’était inévitable. Même l’indifférent Kingsley Ben-Adir dans Bob Marley One Love réussit à émouvoir dans une séquence onirique ou il croise le héros de son enfance, Haïle Sélassié Ier. Les seconds rôles sont pour la plupart inoubliables : l’excellent Gwylinn Lee joue un Brian May plus vrai que nature, Richard Madden est machiavélique en John Reid, amant retors d’Elton John. Même les compositions de Forest Whitaker ou Audra McDonalds dans Respect sur Aretha Franklin sont à noter. Et que dire du rôle de la douce June Carter interprété par une Reese Whiterspoon bluffante et magnifique.

Le biopic musical n’a jamais été aussi paradoxal. Se voulant grand et original, il ressort calibré et policé pour le grand public. Se rêvant fiévreux et insolent, il est souvent consensuel et aseptisé. Prouvant qu’il est un genre à part entière, il n’évite pas les écueils propres à tout genre cinématographique. Mais comme tout genre, il a ses nanars et ses réussites. Et comme tous les genres, il est fascinant, irrécupérable, parfois intéressant, souvent décevant. Et je préfère disparaître que de vivre dans un monde où Love & Mercy, The Rose, Control, Tina ou Ray n’aient pas existé.

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