
Pourquoi le 2-step garage n’est jamais (vraiment) mort
Ce mélange mutant de r'n'b et d'électro au tempo élevé a tout explosé en Angleterre. Timide, tonitruant et ensuite invisible, il s'est relevé du néant pour connaître une nouvelle explosion dans les années 2010. Un genre jamais (vraiment) mort en définitive.
Le 2-step garage est né dans les années 1990 au Royaume-Uni, issu du garage house américain, avec des rythmes syncopés et des influences R&B. Dire que ce genre n’est qu’une note en bas de page de l’histoire de la musique britannique serait très insultant. Car le 2-step garage est plus qu’une ritournelle, ce fut clairement un projet de vie pour bon nombre de clubbers anglais. Les débuts étaient confidentiels, presque invisibles, mais sincères. L’essor des radios pirates permit alors au garage de muter en une myriade de sous-catégories musicales, dont le 2-step garage. Celui-ci connut une incroyable apogée dans les années 2000, en partie grâce à la pléthore de hits en masse qui occupèrent longtemps les charts britanniques, voire européens. Le 2-step garage devint petit à petit, le symbole même de cette période. De nouvelles stars firent leur apparition : Lonyo, So Solid Crew, Sweet Female Attitude, Craig David, Mis-Teeq, Artful Dodger. Mais les controverses liées à des faits de violence dans les discothèques, ainsi que la mue du 2-step garage en grime, plus violent et plus froid, sonna le glas du genre. Le style s’essouffle, cédant la place à d’autres styles musicaux plus “présentables” comme le dubstep. La vieille garde continua d’exister de façon confidentielle pendant quelques années, avant de connaître une surprenante renaissance dans les années 2010. Grâce à la nostalgie et les réseaux sociaux, de nouveaux artistes changèrent la donne avec le future garage et le UK bass. Une nouvelle génération d’artistes comme PinkPantheress, Charli XCX, Rudimental, Eliza Rose ou encore Disclosure, firent la part belle aux envolées électroniques et renouèrent avec le succès. Pas mal du tout, pour un micro-style musical qui connut une brève popularité. Méprisé par une frange de professionnels hostiles à son développement à cause de ses origines modestes, le 2-step garage a bien failli ne jamais s’imposer. Et son revival n’a rien d’étonnant dans un contexte social plus que déprimant. A l’écoute de ces chansons, c’est toute une époque qui revient… Vif, plaisant et très populaire, le 2-step garage reste encore aujourd’hui très vivace pour beaucoup de Britanniques et mêmes d’Européens.

Naissance du 2-step garage
Il faut savoir que depuis aussi au moins le 16e siècle, le Royaume-Uni a toujours été un pays abritant de nombreuses nationalités. Mais le réel brassage culturel, survient plutôt dans les années 50. Le flux massif d’immigrants du Commonwealth (Inde, Pakistan, Caraïbes, Jamaïque) va profondément marquer la société britannique. L’arrivée du “Windrush” en 1948, avec des migrants caribéens, est souvent considérée comme un moment fondateur du Royaume-Uni multiculturel. Plusieurs générations et plusieurs nationalités cohabitent dans un joyeux fatras dans des quartiers populaires abordables de Londres comme les Docks, Battersea, Brick Lane, Whitechapel. Dans ce chaos urbain et coloré, allait naître de nombreuses opportunités de création. Le Uk Garage, placide, cool, et “soul“, très influencé par le garage house américain d’alors, devient à la mode au début des années 90. La rythmique groovy et les paroles envoûtantes font que les chansons marchent bien. Les précurseurs se nomment Todd Edwards ou Masters At Work, des DJ américains qui vont faire rentrer le garage dans la cour des grands. Ils décident d’augmenter la vitesse de leurs chansons d’environ 130 bpm pour faciliter le beatmatching – la pratique qui consiste à étirer la longueur d’un morceau. Il était connu dans le milieu que les DJ préféraient les versions instrumentales car une voix augmentée ou ralentie sonnerait bizarre. Les premiers mix importés en Angleterre commençaient à s’incruster dans les soirées en cette fin de 20ème siècle. Pourquoi un nom si étrange ? 2-step garage, car il vient du garage, sous genre de la house, né à New York dans le Garage Paradise. 2-step car cela vient de la rythmique particulière des sons : les percussions ne suivent pas un rythme régulier 4/4, le kick drum ne frappe pas à chaque temps, ce qui donne une sensation plus syncopée ou “sautillante“. Cela crée une sensation de mouvement “en deux temps” : d’où le nom “2-step”. Les puristes se battent encore pour définir la première chanson phare du 2-step garage. On peut citer le magnifique RIP Groove de Double 99 en 1997, qui influença durablement le genre à la fin des années 90. Décrit à l’époque comme la “passerelle” entre le UK Garage et le 2-step, RIP Groove fait encore partie, même 20 ans après, des sets d’électro britanniques actuels les plus populaires.
Les soirées les plus branchées de Londres et de Southampton accueillaient de plus en plus ce son nouveau, à la rythmique plus poussée. Steeve Goodman, fondateur du label Hyperdub, et connu sous le nom de Kode9, parcourait avec intérêt ces soirées qui abandonnaient progressivement les débordements hardcore du Madchester pour ce son plus poli. Il parlait même de « continuum hardcore britannique », expression louée par les observateurs. Pendant ce temps, les premiers frémissements de succès éclorent en jolis succès dans les classements musicaux. Le remix de “Never Let You Go” de Tina Moore par Kelly G sorti en 1997 récolta un numéro 7 dans le UK Singles Charts. Cet innocent remix, sorti en réalité en 1995, avait été réédité en 1997 dans la version que l’on connaît. Le DJ américain Kelly G, originaire de Chicago, n’était même pas conscient d’avoir accouché d’une perle rare qui figure encore dans des compilations garage. Il est intéressant de lire l’interview qu’il donna à DJ Mag pour se rendre compte des retombées d’un tel remix. Les très reconnus Destiny de Dem 2 e My Desire d’Amira ont été cités comme les fondateurs des premiers succès à venir du 2-step. Mais il faudra bien trois années supplémentaires pour que le 2-step perce vraiment, et ô miracle, devenir un véritable bouleversement. Vers 1999, les soirées jungle ou drum’n’bass, qui avaient été à la mode, se voyaient remplacées par les soirées 2-step pour le côté policé de ce style musical. En effet, les propriétaire des boîtes voyaient de jolies femmes, les fameuses “Garage Girls”, arriver à leurs soirées, gages de qualité mais aussi de sécurité. Les sombres histoires de bagarres avaient quelque peu entaché la réputation de certaines boîtes, et certaines ne s’en étaient pas remises. De puis la qualité de ces soirées faisait qu’elles étaient reconnues et populaires, d’où queue à l’entrée, du pain béni pour les organisateurs. Le Garage UK était aussi synonyme de grande créativité et de mode : imprimés Moschino, camaïeus de bruns, lèvres rondes ornées d’un fin trait noir, coiffures sophistiquées. Bien loin du cliché du danseur de techno aux cheveux orange et aux tenues en vinyl criard. Malgré ces envolées lyriques, le genre était pourtant relativement inconnu du grand public jusqu’en 1999. Elle sera définitivement l’année charnière pour le 2-step, avec l’apparition d’un homme providentiel : Craig David.
Une apogée brève et fulgurante
Fils d’une Anglaise et d’un Grenadien (Antillais), Craig David est ce rejeton de sang mêlé symbolique qui plaît à ce style musical jeune, mélangé et frais qu’est le 2-step garage. Après des débuts confidentiels dans des clubs de Southampton depuis 1997, le jeune Craig écume les petits cachets et les freestyles dans les radios locales. Bien déterminé à se faire connaître, David s’inscrit à un concours de chant, et enregistre sa première chanson “I’m Ready“. Cette ritournelle R’n’B sirupeuse ne fait pas date mais lui permet de gagner le concours et de se faire remarquer par un futur grand ponte du 2-step garage : Mark Hill. Ce quidam gallois, a déjà beaucoup d’expérience musicale lorsqu’il rencontre le jeune homme. On le connaît surtout car il est moitié du duo légendaire Artful Dodger. Impressionné par sa voix, il le fait chanter sur son dernier mix, “What Ya Gonna Do” mais surtout sur une démo de “Re-Rewind (The Crowd Say Bo Selecta)“. Pour ceux qui s’interrogent, Re-Rewind a bien failli ne jamais voir le jour. Au moment d’enregistrer la chanson sur ordinateur, le fichier se corrompt. Pour le sauver, il a fallu cliquer sur Ok d’un message d’erreur soigneusement pour ne pas perdre le tempo, selon David. D’où le titre de Re-Rewind, (rembobiner en anglais), rewind une première fois sur cassette, puis re-rewind sur l’enregistrement final. Vous suivez ? Quand à “Bo Selecta” c’est une expression jamaïcaine qui signifie “balance le son” que presque 99% des jeunes britanniques de l’époque ont du utiliser à tort et à travers.
La chanson sort sur le label Relentless / Public Demand, et c’est l’explosion. Que dire, la déflagration même. Re-Rewind casse tous les records, classé n°2 à sa sortie, et restant près de 60 semaines dans le top 40 britannique. Il est certifié platine en mars 2000. La chanson s’exporte très bien à l’étranger, et se répand dans toute l’Europe pour devenir un classique. Autrefois inconnu, le 2 step-garage fait son entrée dans les foyers et la culture clubbing. Il devient l’hymne d’une génération. Bo Selecta est un slogan à la mode. Pour beaucoup, il y a clairement eu un avant et après Re-Rewind. La carrière de Craig David décolle et en 2000, sort Born To Do It (“né pour faire cela“) produit par Artful Dodger. C’est un carton aussi bien au Royaume-Uni qu’à l’étranger, dont les Etats-Unis. 7,5 millions d’exemplaires dans le monde, sextuple disque de platine au Royaume-Uni. Craig David devient alors titre de chanteur de 2-step garage britannique le plus vendu de l’histoire. Le genre devient à la mode. La presse l’adoube, les chaînes de télévision musicale font tourner en boucle les clips à la télé, la radio passe les chansons dès le matin sur leurs ondes. C’est la consécration.
Les hits s’enchaînent entre 1999 et 2001, avec succès. L’année 1999 voit l’arrivée de plusieurs bangers du genre comme Do You Really Like This ? de DJ Pied Piper and the Masters of Ceremonies. Le duo Shanks & Bigfoot propose avec Sweet Like Chocolate, un 2-step garage sucré et doux fait pour réussir, le duo DJ Luck & MC Neat cartonne avec A Little Bit of Luck, Ain’ No Stoppin’Us et Masterblaster 2000, des perles du 2-step. L’an 2000 voit des tubes en puissance. Body Groove, des DJ Architects avec Nana, Buggin’ de True Steppers et son flow imparable, la bombe Flowers du duo féminin Sweet Female Attitude, dont la rythmique marquante a été confiée à DJ Sunship, (Ceri Evans), un classique du 2-step garage. On peut citer Girls Like Us du duo B-15 Project avec Crissy D, ou Gotta Get Thru This, de Daniel Bedingfield, mix parfait entre pop et garage, iconique par son refrain entêtant. On peut aussi compter sur Sticky ft. Ms. Dynamite avec son hit Boo!, une référence. La reprise “Time After Time” de Distant Soundz devient en 2002 la première chanson garage à être diffusée par la BBC Radio.
Mais l’album de référence, la perle des perles, est sans nul doute It’s All About The Stragglers d’Artful Dodger, sorti en 2000. Quintessence du 2-step garage, Bible du genre pour certains, il est l’album qui cristallise le mieux les attentes et espoirs de ce style tant décrié. Les chansons à succès : Think About Me avec Michelle Escoffery, Re-Rewind qu’on ne présente plus, Please Don’t Turn Me On avec Conner Reeves, le très beau TwentyFourSeven en duo avec Melanie Blatt des All Saints, Movin’ Too Fast avec Romina Johnson, le splendide Woman Trouble avec Robbie Craig de Boyzone. Un véritable condensé ce qui a fait bouger l’Angleterre durant cette période courte d’euphorie et de sons dansants.
Mais qu’est-ce qui explique un tel succès ? Facteur politique, avec la seconde victoire du New Labour de Tony Blair et leur tolérance sur la culture électro de l’époque, en opposition à la violence punitive de Thatcher. Le 11 septembre et les émeutes raciles de Brixton et Bunley avaient marqué les esprits. Facteur purement “musical” : rythmique répétitive, tempo accéléré, chansons en général assez courtes et voix féminine sensuelles pleines d’émotions. Il n’est plus honteux d’inviter des chanteurs de pop pour faire connaître un groupe et s’assurer une place dans les charts. La fraîcheur de ses mélodies imparables et l’aspect émotionnel du R’n’B, moins froid de ce sous-sous-genre de l’électro (on le rappelle), font que l’impact sensoriel est plus poussé. A l’aube des années 2000, le matériel électronique coûtait moins cher et les machines grand public se sont banalisées. La production pouvait se faire avec un petit budget sur un vieil ordinateur sans problème.
C’était aussi le reflet de la diversité et de l’énergie multiculturelle du Royaume-Uni à cette époque. L’Internet balbutiant et les chaînes musicales ont pu, à leur échelle, réussir à faire connaître davantage cette mode musicale resté longtemps secret. Cependant, à trop vouloir en faire, le 2-step garage n’était pas destiné à connaître une fin toute aussi rapide ?
Déclin et évolution logiques du genre
Lassitude, divergences, ventes faibles
Aussi étrange que cela puisse paraître, le 2 step garage primitif a connu une superbe mais courte existence. Ce qui est un peu le cliché des sous-genres musicaux il faut le dire. Son empreinte culturelle a fortement marqué les esprits à l’époque, à un moment où les réseaux sociaux et l’internet grand public n’étaient pas encore au point. Malgré ces faits d’arme, la lassitude du public s’était aussi pointée au fur et à mesure que les hits s’enfilaient comme de grosses perles sur un fil trop fragile. On ne comptait plus les remix garage de groupes issu de télé-crochet (Liberty X), ou de girls bands (Miss-Teeq), pour faire “djeun“. L’exploitation commerciale agressive du 2-step, mais aussi son rythme syncopé et son style (trop) facilement copiable ont cassé l’authenticité et la fraîcheur des premiers instants. Contrairement à ses parents électro et house, et ses cousins jungle et grime, le 2 step garage n’évoluait pas, il restait cantonné à une époque précise. Trop mécanique, pas assez évolutif, il était condamné à rester hermétique. Les histoires de vol de chansons ou de cachets dérobés à la sauvette existaient. En 2001, Hill et Devereux se sont séparés en raison de divergences créatives et la marque, le nom et les droits d’utilisation d’« Artful Dodger » ont été rachetés par Blessed Records. Après s’être réunis en 2017, Hill et Devereux se sont retrouvés dans l’impossibilité de sortir de nouveaux morceaux ou de se produire sous leur propre nom, les obligeant à s’appeler “Original Dodger”. Les lendemains de fêtes étaient douloureux après une réussite éclatante. Bon nombre d’artistes sortaient un méga hit puis un album dans la foulée, puis retombaient plus bas que terre après un second album. Flowers de Sweet Female Attitude allait rester un one hit wonder, malgré d’autres titres restés confidentiels. Craig David lui même en fera les frais avec Slicker Than Your Average, créé pour percer le marché américain, dont les ventes, quoique honorables, ne seront pas à la hauteur de Born To Do It.
Violences, l'épisode de So Solid Crew, revers de la médaille
En 2001, So Solid Crew, originaire de Battersea, un quartier populaire à fort brassage culturel, sort “21 Seconds“, versant plus sombre du 2-step garage et gros succès à sa sortie. Le groupe cultivait une image plus noire, les paroles étaient crues et marquées par un tempo agressif, l’ambiance des clips sentait la street, le cuir profond et les bagarres. Un adolescent avait été battu à mort dans une discothèque de Luton après l’un de leurs concerts. Deux adolescentes, Letisha Shakespeare et Charlene Ellis avaient été abattus devant des clubbers traumatisés pris à part dans des tirs rivaux de gangs rivaux. Face aux troubles, l’impopulaire Form 696, avait restreint les soirées garage. Les membres du groupe n’était pas en reste. G-Man, fondateur du groupe, avait été retrouvé avec une arme. Carl Morgan a assassiné le nouveau partenaire de son ex-partenaire en 2004 et purge actuellement une peine de prison de 30 ans. Un autre membre, Skat D avait cassé la mâchoire d’une fille de 15 ans ayant refusé ses avances sexuelles. Asher D avait été emprisonné pour possession d’armes à feu. Il est depuis rentré dans le rang en tant qu’acteur reconnu sous le nom d’Ashley Walters, jouant dans des séries reconnues comme Top Boy, Doctor Who, ou Adolescence. Le groupe traîne encore aujourd’hui une mauvaise réputation. En 2017, ils sont rejetés du Lovebox Festival car un autre groupe ne voulait plus jouer avec eux. Mais le plus ennuyeux dans tout cela, c’était la difficulté pour des gens issus de minorités et de la pauvreté endémiques de certaines banlieues londoniennes d’émerger. Malgré leurs notoriété et leur contribution à la mutation sombre du 2-step garage, le collectif n’était pas devenu aussi riches qu’il ne l’avait espéré. Preuve qu’un genre aussi jeune que le 2-step n’empêchait pas les vieilles vicissitudes du capitalisme avec le combo pression / vente de disque / promotion / concerts de s’implanter. Eux aussi connaîtront un second album catastrophique face à l’implosion du groupe et les carrières solos de certains membres comme Lisa Maffia. Toutefois, leur héritage et leur côté déviant allaient préfigurer une nouvelle ère pour le 2-step garage.
Evolution musicale, stagnation (2003-2007)
L’épisode de So Solid Crew n’a pas tant traumatisé les clubbers pour leur violence, mais aussi pour leur virage vers le sale. Tous ces succès trop rapides et la retombée brutale en avaient marqué plus d’un. Les sons chauds, groovy et dansants, laissèrent petit à petit place à des rythmiques plus ténébreuses, des paroles plus “dark”, une ambiance lourde. Une recherche d’authenticité se faisait sentir. Le 2-step garage mua en grime. Une cohorte de jeunes artistes comme Horsepower Productions, Zed Bias, Wookie et Steve Gurley effacèrent le côté solaire du UK garage pour explorer des pistes plus expérimentales. “Battle” de Wookie, sorti en 2000, peut être considéré comme un précurseur de cette mutation. On peut également citer Eskimo de Wiley en 2000 comme hit informel du grime. Des artistes reconnus comme Dizzee Rascal ou Yungstar devinrent les fers de lance de cette mutation brute du 2-step garage. Finis les intérieurs lounges, les couleurs chamarrées et les paroles parlant de fêtes et de nanas. Face à l’embourgeoisement, aux fermetures des soirées garage, aux échauffourées, il ne restait plus que la révolte. Et le grime était parfait pour exprimer cette injustice. Les 140 BPM étaient la norme, la basse plus lourde et “glitchée”, le rythme sec, anguleux, cassant. Une frange expérimentale émergea aussi en bordure. Citons Burial et son mythique album Untrue sorti en 2007, classique parmi les classiques, indéboulonnable volonté d’un garage expérimental. Il fut cité récemment comme un album fondamental dans le garage UK. Comble de l’ironie pour un opus créé sur un ordinateur mourant dans un anonymat plus qu’insultant ! Puis le grime laissa place à un tout nouveau style qui allait bouleverser le monde, le dubstep. Ses origines sont londoniennes, plus précisément dans la banlieue de Croydon. La soirée FWD>> au Plastic People et la radio pirate Rinse FM ont été cruciales pour diffuser le son dubstep à ses débuts. Comme un rappel de comment le 2 step garage était né. On ne cite plus les grands noms du dubstep e leurs hits : El-B & “Buck & Bury” sorti en 2000, Horsepower Productions avec Gorgon Sound en 2001, Skream et son hit Midnight Request Line sorti en 2005, Digital Mystikz avec “Haunted” et “Anti War Dub” en 2005, ou encore Benga & Coki avec Night en 2007. Malgré une relative stagnation, le 2-step connaissait une période expérimentale et de réinvention bienvenue.

Renaissance du 2-step garage
Après une période d’hibernation qui allait accoucher du dubstep et du grime, le 2-step garage allait peu à peu sortir de sa réserve. Dans les années 2010, une toute nouvelle génération biberonnée aux réseaux sociaux et à un Internet plus répandu, se prend d’amour pour le 2-step. Il faut dire que la nostalgie du Y2K était sans doute pour quelque chose. Les chansons d’antan, courtes, efficaces, sucrées pour échapper à un futur toujours problématiques firent des ravages sur TikTok. Surtout, de jeunes artistes, frais et pleins d’entrain, se servirent de cet héritage oublié. Les anciens firent son retour durant cette période. Wookie, MJ Cole, Zed Bias et Mark Hill proposèrent des productions plus axées de ce style musical qui les avait fait si bien connaître. Une nouvelle génération de hits, allaient faire éclore un nouvel intérêt : En 2011, le mystérieux collectif électro londonien SBTRKT (prononcez Subtract) sortit Wildfire en duo avec Little Dragon. Sa boucle hypnotique, sa rythmique caractéristique, s’inspirait largement du 2 step garage… On peut citer Take It Back de Toddla T en duo avec Aitch, sorti en 2011, Higher (Free) de All About She et Blk & Blu de Chase & Status tous deux sortis en 2013, Touch de Shift K3Y sorti en 2014. Ils réussirent à se faire une place dans les charts britanniques pourtant dominés par des stars de la pop aux VR et au marketing plus puissant que le leur. Mais ce qui relancera la machine c’est le méga hit La La La de Naughty Boy en duo avec Sam Smith, et une autre bombe à retardement appelé Latch du duo de frères DJ britanniques Disclosure. Cette ballade house lorgnant du côté du garage UK et ses sons syncopés, fut un choc pour beaucoup de nostalgiques et un succès monstre pour ses créateurs, à peine âgés de 18 ans au moment des faits. Mieux, ces nouvelles ballades eurent ce que leurs prédécesseurs n’avaient pas eu la chance d’avoir : un succès international, dont les Etats-Unis. Si Craig David avait été l’homme providentiel des années 2000, Disclosure fut sans nul doute le groupe, qui fut à l’origine de la résurgence du 2-step dans les années 2010. Leur disque Settle fut ce que For All About The Stragglers fut à l’époque : la preuve que l’on peut marier recherche esthétique, grâce, sons pointus et succès commercial sans perdre son âme
Les années 2010 firent la part belle aux disques inspirés. BodyMusic d’AlunaGeorge, album de feu et de glace sorti du néant, fut un grand succès. Le sec et foudroyant In Color de Jamie XX permettait une lecture plus expérimentale du genre, à l’image de Burial. On vit même le retour des anciens avec Following My Intuition de Craig David, sortis des ténèbres du r’n’b bon marché dépassé, pour revenir aux racines. Succès surprise et même bonne exportation à l’étranger avec les très beaux When The Bassline Drops et One More Time. Ladbroke Grove de AJ Tracey en 2019 entra directement dans le Top 5 britannique. Les années 2020 voit l’arrivée de l’hyperpop portées par des artistes comme Charli XCX ou Arca. Ce genre trouva une belle opportunité à se mélanger à ce revival. Une tripotée de jeunes pousses fit son apparition dans cet environnement nouveau : Shygirl, jeune métisse grenadienne au r’n’b LGTBQi++, sexuel et attirant, Anne-Marie, ancienne choriste pour Rudimental, reconverti au garage joyeux et coloré, Mabel, fille de Neneh Cherry en personne, au style introspectif et hypnotique. Mais la reine du genre est sans nul doute PinkPantheress, nouvelle prêtresse de l’hyperpop mâtinée de sonorités 2-step âgée de 24 ans. Son EP de 2020 To Hell With It avec le hit Pain (comportant d’ailleurs un sample de Flowers !) est acclamé par la critique et chacun voit en elle le futur popstar pour ados. A juste titre : l’EP contient une volonté de réarranger cet héritage parfois lourd à porter et une furieuse envie d’aller plus loin sans perdre des pièces en route. Résultat : un 2-step garage assaini, débarrassé de ses apparats superflus, et une voix enchanteresse qui caresse l’auditeur. L’album heaven knows, grosse claque de 2023, fut porté par la méga tornade Boy’s A Liar Part.2, produit par Mura Masa (producteur d’A$ap Rocky, Shura, Charli XCX), en duo avec Ice Spice, qui cartonna sur TikTok. Cette chanson est la parfaite émulsion entre les attentes 2-step garage, le style Y2K et l’hyperpop. Sa reprise par des millions d’utilisateurs, en fait d’ailleurs la chanson la plus jouée de 2023 sur la plateforme… (1 milliards de streams tous confondus). Quelle aubaine et quelle revanche pour ce tout petit style musical de rien du tout, né dans la tourmente, explosant en plein vol pour ressusciter dans une nouvelle époque digitale. Une revanche sur le passé en somme.
2-step garage is not dead
Même si le 2-step garage semble être revenu en force, certains anciens se montrent quelque peu circonspects à ce retour. Sunship, alias Ceri Evans, cité plus haut comme le créateur de Flowers de SWA et de Garage Girls de Lonyo, est un peu sceptique. Dans une interview donné au Guardian, Sunship ne trouve pas que le 2-step garage de 2019 ait la même qualité lo-fi qu’à l’époque.
Il y avait une étincelle dans l'air entre 1997 et 2002 qu'on ne pourra jamais recréer aujourd'hui. C'est aussi parce que la façon dont les gens font de la musique a changé ; tout est plus propre et plus clinique maintenant.
Sunship (Ceri Evans)
Malgré cet aveu de faiblesse, Sunship affirme que ce retour en force a su faire connaître à toute une génération ce genre si spécifique. Encore mieux, ce style musical couplé à un Internet toujours viral a su se propager bien plus rapidement que dans le passé. Si le 2-step garage souffre d’un côté hermétique, quelques artistes outre manche ont tenté timidement de mélanger ces rythmiques avec leur flow. Citons Aux Paradis de Damso, Peur de l’échec d’Orelsan ou encore 9 Milli de Kekra. Malgré le peu d’intérêt de la France pour ce retour en force, toujours cantonné à l’Angleterre, le 2-step garage a fini par convaincre. Les scènes électro de Berlin ou de Copenhague connaissent actuellement une nouvelle explosion garage. Lille Høg (Bjarke Pedersen) et Main Phase, producteurs danois, mélangent UK Garage, voire speed garage avec des rythmiques syncopées. Des artistes allemands comme Objekt ou Avalon Emerson explorent des sonorités dark garage / 2-step remixées dans des productions modernes. Les avanies du passé semblent avoir été pardonnées. Les violences issues de clubs sans sécurité et de gens un peu trop avinés existent toujours, mais pas au point d’entériner un genre (espérons-le). Les attentes du capitalisme sont toujours ce qu’elles sont, même si certains labels indépendants affichent une liberté artistique farouche et revendiquée, acquise de dure lutte. Les chanteuses 2-step souffraient de sexisme et d’autorité sur leur façon de se tenir, mais ont su créer une nouvelle forme de pop star féminine. Sweet Female Attitude montrait des vraies femmes aux courbes généreuses là ou la norme était de ne pas dépasser une taille 38… quand d’autres jouaient la carte du mélange culturel et d’une sexualité assumée jamais vulgaire, comme Lisa Maffia, Kele Le Roc, Shola Ama ou Romina Johnson. Les artistes d’aujourd’hui revendiquent leur orientation sexuelle et leur corps (Shygirl) et leur métissage (PinkPantheress) plus facilement qu’à l’époque.
Certes le 2-step garage subit toujours des ratés comme la soirée Garage Classical donnée en 2019 au Royal Albert Hall, qui a sonné comme un “karaoké peu inspiré” et sa progression dans d’autres pays se fait encore timide. Mais qu’importe. Sa mutation continue, inexorablement, comme animée d’une énergie folle. Discret, il s’est fait explosif, visuel, trop peut-être. Poli, il s’est fait élégant, touchant même au risque d’être trop sage. Mutant, il a abandonné ses racines soul pour se réinventer en poète maudit des froids extérieurs de banlieue anglaise. Timide, il s’est mué en star des charts, puis en star de TikTok en raison de sa structure courte et rythmée. Le 2-step garage n’est plus un genre figé. C’est aujourd’hui un langage rythmique, une texture culturelle, et un code émotionnel que les scènes club, pop et expérimentales réinventent à leur manière. Le 2-step garage est mort, vive le 2-step garage !