Lady Gaga et son Chromatica avait tenté un retour tiède sur Tik Tok et des sorts jetés aux policiers (?). L’arrivée d’un album dance aux allures de purge était bienvenu après une carrière en dents de scie (le décevant ArtPop, le personnel Joanne), avait fait grincer des dents. Mais une chose est sûre et malgré une place réservée dans le mainstream : Lady Gaga est (certainement) la seule qui peut encore surprendre.
Année : 2020 | Label : Streamline / Interscope | Genre : Dance
Loin de l’aura quasi divine d’une lionne comme Madonna mais plus rusée qu’une Ariana Grande, l’artiste sautille d’un registre à l’autre avec plus ou moins de succès, mais au moins, l’essai est salvateur. Et j’observe cela en étant mi-figue, mi-raisin. Difficile de gratter la surface de Stefani Germanotta, qui n’est jamais là où l’on attend, entre les robes volantes, le vomi artistique et la barbaque affichée sur un corps athlétique prêt à mater les rageux. Au détour d’un chemin de traverse, d’un documentaire mélancolique Five Foot Two, d’une interview introspective, la chanteuse nous semble palpable, fragile, tourmentée… avant de disparaître dans des délires colorés, fous, bigarrés, qui ne ressemblent qu’à elle. Chromatica, sorti fin mai, n’a pas attendu début juin qu’il fut numéro 1 des ventes un peu partout sur ce vieux monde. Un délire rose vif, où la confusion mentale se dispute à l’amour envolé, la dépression. Un sujet plutôt rare dans la musique, et surtout, venant d’une artiste féminine. Cependant, je redoute quelque chose en ouvrant les portes de cet immense palais fuchsia : que diable nous réserve la plus célèbre Italo-Américaine de New York ?
Des folies
Chromatica se donne la possibilité d’explorer des territoires inconnus. On retient les interludes magiques Chromatica I, II et III qui sonnent comme des OVNI mélodiques mais, en écoutant l’album, deviennent brusquement logiques. Dès les premières minutes d’Alice, la Gaga nous gave de house nu-disco à la sauce Germanotta : rodé, étincelant mais finalement, assez classique. Au final, c’était pour mieux nous préparer à ce qui semble être le chef-d’oeuvre de l’album (je le pense sincèrement) : Stupid Love, qui peut mettre au placard tous les singles un peu trop surcotés et qui ont beaucoup trop engendrés de mèmes oubliables si vous voulez mon avis. Aérien, gracieux, aux paroles senties et prenantes malgré un débordement de phrases bateau (l’amour toussa hein). Un clip magique, entre un Bioman shooté au smoothie fruits rouges et une esthétique cyber punk en mode marshmallow, est assez impressionnant – et de surcroît, tourné uniquement à l’iPhone. On sautille entre trouvailles et choses établies, de l’énergique Free Woman et son aura féministe, et enfin un duo improbable avec l’un des groupes K-Pop les plus rentables de tous les temps (derrière BTS) : Blackpink et son refrain R’n’B coupé de coréen mélodique, qui s’avère plaisant à l’écoute. Enfin, une autre chanson permet de se convaincre que la Gaga en a derrière les cordes vocales et nous montre l’étendue de sa cage thoracique avec Enigma, une autre réussite. Un délicieux retour en arrière, aux années 90 où les musiques électroniques n’étaient pas aussi populaires qu’aujourd’hui, et certainement pas synonymes de gens cools et bien sapés… On se prend à rêver, et on atterrit sur Replay, un summum de nostalgie années 2000 plutôt bien exécuté. Sûr que la chanson trouvera son public dans une boîte bondée, et je me prends même à l’apprécier à sa juste valeur. Babylon, le clou du spectacle, un véritable hommage à cette période 90s « Club Kid » où se mêlait homos, hétéros, drag queens et trans dans les boîtes les plus célèbres de la Big Apple. Pas étonnant quand on sait l’attachement viscéral qu’a Lady Gaga pour cette ville inspirante.
Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, sous ce divertissement bien rodé, sans accros apparents, se profile une fatigue et une sensation d’être un peu sur sa faim. Sous les cris, le vide ?

Des clichés
On le sait, Lady Gaga vend des millions de disques. Utile cependant, de ressortir toujours (beaucoup) les mêmes recettes ? On connaît les Ricains pour leur sens du spectacle et du marketing, mais l’album s’avère être un piège à certains endroits. Rain On Me en duo avec Ariana Grande rappelle les heures sombres de la dance des années 2000, contenant certainement les pires clichés électro qu’un débutant devrait éviter de faire ! Les refrains sont ni faits, ni à faire, la musique donne envie de s’arracher les bulbes du crâne. Je dis non de suite. Dommage. La chanson avait du potentiel, un peu trop écrasé par le rouleau-compresseur d’un monstre appelé Gaga. C’est un peu le même constat pour certaines chanson qui auraient mérité plus de finesse et moins de grossièretés, Alice en est un bon exemple. Débarrassé de ses oripeaux, elle aurait gagné plus de coeur. Au lieu de ça, la Gaga nous balance un « oh-ma-ma » un peu fatiguant en arrière plan qui ne sert pas à grand chose, même si l’ensemble se laisse écouter. Fun Tonight agace déjà pour son côté déjà-vu et ce refrain crié qui n’était pas indispensable ! Pour la suite, pas vraiment gagné : 911, un brin frelaté, rappelant parfois Lovegame qui était pourtant marrant et plus dansant… les paroles redondantes n’aident pas vraiment à apprécier la chanson : que voulez-vous que ça me fasse qu’on appelle la police parce que la pop va mal (et par extension, Lady Gaga) ? Demandez à Ed Sheeran si elle se porte bien, tiens (et de ma part un coup de pied au c…). Vite consommé, vite oublié, on passe au bonbon suivant : Plastic Doll, un poil mieux, mais assez plat et formaté pour les ondes FM. A donner aux nostalgiques de From Paris To Berlin ou Cry For You, ou autre ballade électro de piètre qualité pour mariages de trentenaire. Autre déception de taille : Sine From Above en duo avec Elton John, pour une fois inspiré, mais qui sonne plus comme un hit à Eurovision qu’à une vraie chanson à la sauce Gaga. S’en dégage une mélancolie perceptible, qui nous montre que la chanteuse en a gros. 1000 Doves, oubliable, complètement, et l’on se prend à apprécier qu’elle ne conclut pas l’album, réservé au charismatique Babylon.
Au final, des clichés à la pelle, derrière une bonne volonté, et on regrettera tout de même un peu plus de folie dans ce théâtre organisé. Après toute cette tornade médiatique, Lady Gaga pouvait-elle faire autrement ? Et si tout cela n’était qu’une catharsis pour se prouver que la fille de Queen et de Madonna n’était pas encore morte…

De l’audace
Aussi improbable que cela puisse paraître, Lady Gaga réussit avec de la bonne volonté et du rose, à quelques moments, à mélanger l’ancien et le nouveau, le passé et le futur de la dance. Mais sans vraiment y parvenir à 100%. On y sent trop le divertissement tiré par de grosses ficelles, la prod exigeante et une cacophonie palpable qui pourrait en faire fuir plus d’un. Toutefois, derrière ce brouhaha, se dégage de délicieuses vapeurs enrobantes et chaudes qui sont l’oeuvre d’une seule et même femme : le beau Stupid Love, l’honnête Sour Candy, l’étrange Enigma et ses beats de flamme, Replay et sa furieuse mécanique, Babylon, hymne queer où tous les pays, toutes les sexualités et toutes les couleurs du monde se mélangent. Difficile pourtant de faire impasse sur des paroles d’un niveau proche du néant, des sempiternelles remises en question sur la quête insatisfaite de la fame. Le point le plus fâcheux vient du fait que Lady Gaga a voulu en faire un peu trop comme d’ordinaire … On regrette que sous la couche de peinture rose se cache un robot conscient de sa propre grandeur. Lady Gaga est puissante, elle est revenue, et nous le prouve bien dans cette gigantesque boîte de nuit parfois plus proche des hangars surpeuplés d’Ibiza que des clubs parisiens. On tombe dans la facilité, pour mieux se relever et retrouver un semblant de profondeur et de créativité. Avant de se retrouver devant une muraille. Car Lady Gaga n’est pas morte. Après une volée de bois vert avec ces deux derniers albums, elle se relève avec A Star Is Born et révèle un côté plus brut, romantique et organique. Lady Gaga cache sous sa peau de femme divers visages : star japonisante, créature fragile, monstre de mode, figure engagée, femme mystérieuse. Le point le plus fâcheux est qu’on aurait voulu percer un peu plus cette tour inflexible, plutôt que de nous assommer de refrains prévisibles et de ritournelles faciles. On note tout de même un intéressant hommage à la musique électronique des années 90 et 2000 même si ce point me laisse froid (goût personnel surtout)., un véritable talent pour lier des sons divers et variés, inviter des guests intéressants (Ariana Grande, Morgan Kibby de M83, Skrillex, Blackpink, Elton John!) et se libérer avec simplicité et légère à la joie de danser pardi.
Et si cela a permis de faire Stupid Love et de rendre le eyeliner blanc super stylé, ça valait peut-être le coup.