George Michael Freedom, histoire d’une tragédie pop
Lunettes noires. Un corps athlétique et viril. Des dents d’une blancheur de nacre. Une coupe de cheveux et une barbe toujours superbement coupés. Un look cuir seyant et sensuel. Et surtout, une voix divine, d’une limpidité surnaturelle. Voici George Michael, Freedom, parlant d’une tragédie pop intime et douloureuse.
Année : 2016 | Réalisateur : David Austin, George Michael
Il fut un temps où George Michael s’appelait surtout Georgios Kyriacos Panayiotou et qu’il venait d’un foyer grec chypriote conservateur, dans lequel naturellement, il étouffait. Les années 80 et son ambiguïté sexuelle arrivaient à pic, et il commença Wham! en compagnie de son ami Andrew Ridgeley avec l’enthousiasme d’un lycéen. Le succès aidant, son besoin toujours grand de se libérer, il tente une carrière en solo. C’est le succès. Tout pourrait aller pour le mieux, mais George Michael, être complexe, tourmenté par ses démons et son homosexualité trop longtemps refoulée, va multiplier les échecs et les mauvaises décisions. Le chemin de la liberté sera long et difficile, jusqu’à un point culminant où l’amour fait son entrée, avant de disparaître tragiquement dans les brumes du SIDA. S’ensuit des albums d’une qualité indéniables, aux paroles provocatrices (I Want Your Sex, Fastlove p.1), tragiques (Jesus To A Child, Father Figure), voire euphoriques (Freedom 90, Amazing) ou même politiques (Shoot The Dog). New Wave, Pop, Dance, Rock,Electro, R’n’B, Soul, George Michael traverse tous ces genres musicaux avec une légèreté virevoltante.
Dans toutes ces festivités, George Michael a su imposer sa voix d’ange, aux partitions complexes et merveilleuses, qui d’ailleurs fera des envieux comme Elton John qui lui jalousait son piano ou même Stevie Wonder… Un grand artiste qui disparut tristement en 2016, le jour de Noël. Victime d’une crise cardiaque après une vie d’excès. Peu avant sa mort, Michael travaillait sur un documentaire autobiographique en compagnie du réalisateur David Austin qui le finalisa peut après sa mort. Comme nous l’annonce Kate Moss, c’est sa dernière oeuvre. Imparfait (aucun mot sur ses addictions ou ses frasques de tabloïd) et un peu artificiel (guests impeccables et maquillés, comédien incarnant le chanteur de dos), George Michael Freedom est le portrait d’un homme à la recherche d’une libération totale. Voici sa critique.
George Michael, Freedom : Rose fuchsia, jaune clair
Nous sommes dans les années 80. Tout jeune majeur, George est DJ et bosse dans un cinéma. Son meilleur ami est Andrew Ridgeley, qui lui, vivote au chômage. Leur précédent groupe de ska, The Executive, n’a pas très bien fonctionné. Rien de bien folichon. Pourtant, même si le documentaire survole un peu ce début très mince, les deux comparses n’arrêtent pas de travailler. Ils n’ont pas vraiment le choix, leur existence est bien morne alors ils écrivent sur le fun, l’éclate, le soleil et les questionnements politiques, sociétaux, sexuels aussi avec une étonnante fraîcheur. Il faut dire que les deux amis, malgré leur jeunesse, sont déjà très doués : George Michael chantait et composait déjà à 6 ans, et Ridgeley, italo-égyptien, était l’opposé de George, flamboyant et excentrique. La famille de George n’est pas très optimiste quand à cette envie, percevant dans cet amour de la musique un penchant pour l’homosexualité. En effet, un drame a endeuillé la famille il y a quelques années : l’oncle Colin, schizophrénique et surtout, gay, se suicide par overdose. Pas question pour les parents de George qu’il soit comme lui, et surtout, finisse comme lui. Lentement, comme du poison, ce premier « abysse » va hanter le jeune George.
Wham! naît peu de temps après la sortie de Wham! Rap (Enjoy What You Do). Le succès éclate comme une déflagration. S’ensuit une pluie de singles à succès : Wake Me Up Before You Go-Go, Everything She Wants, Club Tropicana, Last Christmas et autres chansons qui font le bonheur des boums pour quadragénaires et des campings. La notoriété de George éclate avec Wake Me Up, et son refrain entêtant, et surtout, le style colorié et furieusement kitsch de sa tenue. Voyez plutôt, un brushing blond artificiel, un sweat rose, et des mitaines jaunes! Il n’en faudra pas plus pour le public pour les chérir plus que leurs parents, et la presse s’acharner sur ce boys-band de bas étage qui selon eux, pue le préfabriqué… Si aujourd’hui on rit de ce titre gentiment dansant mais assez efficace (j’avoue), Wake Me Up cristallise en douceur les obsessions de George Michael : musiciens noirs et un très léger soupçon de soul durant le solo de guitare (juste après le haaa, vous entendez?), une chorégraphie parfaite et un graphisme coloré et revendiqué.
Bref, le cocktail parfait pour plaire à la jeunesse de l’époque. Les albums de Wham! se vendent par millions, et le monde découvre un George bête de scène, à la voix angélique et aux vêtements à la fois lascifs, colorés ou serrés, selon son humeur du moment. Le public adore, la presse traque les moindres faits et gestes du groupe. Le jeune corps de George rebondit avec une étonnante légèreté sur toutes ces accusations et enchaîne les concerts à guichets fermés. Le succès est immense, et Wham! devient même le premier groupe anglais à se produire en Chine communiste. Il cède même ses droits sur « Last Christmas » pour des bonnes causes. Les clips sont colorés et efficaces, légers et dansants, correspondant à la folie 80s… Malgré leur caractère joyeux, Wham! montre une véritable qualité artistique, des clips jusqu’au jaquettes de disque (écouter ci dessous Everything She Wants !). On y parle de sexe, de vacances, de farniente et de belles gosses au soleil couchant. George Michael, Freedom montre un artiste qui étouffe. Son image de jeune loup peroxydé lui pèse. Tout comme sa sexualité. Il couche avec des femmes pour se rassurer, plusieurs fois avec plusieurs femmes en même temps. Et une histoire avec Brooke Shields qui restera tout de même sa très proche amie, qualifiant George de « gentleman ». Mais le début du SIDA va freiner ses penchants féminins et il comprend, alors que Wham! se sépare en 1986, qu’il est gay. Les femmes ne seront pour lui que des créatures célestes magnifiques avec qui il sera ami, et rien de plus. Mais hors de question d’en parler ouvertement, l’époque est très homophobe et les ravages du SIDA ne vont pas arranger les choses. Alors, résigné, George Michael se tait, et décide d’entamer une carrière solo. C’est le début de la liberté.
George Michael Freedom : Gris anthracite, blanc pur
En 1987, sort Faith, son premier album solo. C’est un chef-d’oeuvre. Le public lui fait un triomphe. Les médias suivent. 32 ans plus tard, l’album est toujours considéré comme un des chef d’oeuvres de la pop music. Difficile de contredire ce fait, tant le disque regorge de beautés sonores : Look At Your Hands parlant de violences conjugales, le magnifique Father Figure, ode à la compassion (ayant beaucoup servi dans des séries US dont Nip Tuck), le bien nommé Faith, ou même le très chaud I Want Your Sex , qui sera même banni des radios de la BBC pour son caractère « pornographique ». George Michael change son look : il retrouve ses cheveux bruns, porte une veste en cuir avec « Revenge » marqué dessus, des santiags au bout argenté, un jean troué, et porte des lunettes noires. La rockstar est en pleine mue. Et explore la liberté artistique dans ce disque, cherche la vraie « foi ». Foi aux autres, à l’amour peut-être, aux sentiments, au sexe d’une certaine façon. Loin de rebuter les gens, ce mélange détonnant de pop et de soul va littéralement faire exploser les compteurs, faisant de Faith le plus gros succès de l’artiste. Les nombreux scandales entourant l’album, l’interdiction de diffusion sur MTV du clip de I Want Your Sex ne vont que renforcer l’image décomplexée de ce disque. Dans le fond, aujourd’hui, à l’heure du porno chic et de la vulgarité assumée de certaines chanteuses comme Nicki Minaj, Faith fait presque figure d’alien. Ici, on parle franchement , on montre dans les clips des filles en guêpière, une jeune vierge aux yeux bandés faisant des galipettes imaginaires avec le beau George. Mais derrière ce côté provocateur, on sent de l’audace, et aussi de la sincérité. Ce qui fera de Faith l’album préférés de ses fans, encore aujourd’hui. Careless Whisper, et son saxophone à la fois tendre et kitsch, a été parodié bon nombre de fois, et beaucoup trop utilisée par certains vidéastes pour souligner une tension érotique involontaire !
Mais si la liberté artistique est atteinte, la liberté sexuelle de l’artiste est aux abonnés absents. Il a arrêté de coucher avec des femmes. S’enfonce dans une semi-dépression, que le Faith World Tour, ses proches et ses managers ne peuvent dissiper. L’artiste se sent vide. Boit plus que de raison, s’essaie aux drogues dures. Les années Wham! ont laissé place à la foi qui s’accompagne de doute. Et le doute, George s’y noie. Personne ne peut l’aider, pense-t-il. Il préfère ne plus se montrer, arbore de grosses lunettes noires pour se cacher, mais ses fans lui trouvent un air sexy et involontairement, cet accessoire sera plus ou moins le symbole de l’artiste. Ayant les caméras en horreur, George fuit. Dans ses interviews, reste factuel. Et en live et dans sa musique, se lâche complètement.
1990. Le documentaire s’attarde sur l’élaboration du second album de l’artiste, le splendide Listen Without Prejudice, Vol 1. Si Faith était l’album de l’envol, LWP Vol 1 est certainement l’album de la confirmation. Prayer For Time est de ces chansons inoubliables qui serrent le coeur et l’esprit. Après toutes ces années, elle garde toujours sa même force, sa même tristesse. « And it’s hard to love, there’s so much to hate ». Compliqué à contredire… Il n’en fallait pas plus pour désigner cette chanson comme l’hymne de toute une génération, et l’on se surprend à voir Ricky Gervais, Elton John l’oeil humide en écoutant cette chanson, légèrement jaloux d’une telle beauté… Beauté pour guérir les blessures de George Michael, toujours aussi perdu. Heal The Pain (« Guérir la douleur ») en est le symbole. Dans cette chanson poignante, il s’adresse à lui même. D’une façon touchante, mélancolique, il tente de comprendre le démon intérieur qui le mine de jour en jour. Alors autant purger cette tristesse dans la musique. L’album est un trésor, déborde de tubes incroyables, le dansant Freedom! 90 n’en est que le diamant le plus précieux. Dans cette chanson, pas besoin d’être psychologue pour comprendre que George Michael en a gros sur le coeur. Voulant se préserver, il tente alors de faire un clip où il n’apparaîtra pas. David Fincher, séduit par l’idée, lui propose un clip à l’esthétique cinéma, avec une pléthore de splendides mannequins, les Supermodels, emblème des 90’s : Linda Evangelista et son adorable bob blond, Christy Turlington et ses yeux de chat tapie dans l’ombre, Naomi Campbell en panthère, Walkman aux oreilles, Cindy Crawford prenant un bain de vapeur, nue. Des images marquantes, un filtre bleu mélancolique, des femmes sublimes, et le fameux cuir « Revenge » qui brûle dans un dressing.
Le message est clair : George veut changer et passer l’éponge. Et surtout, semble en avoir ras le bol des attentes déraisonnables de son label, et dans Freedom 90!, il ne se prive pas pour le dire. Le côté incroyablement sexy de la chanson, avec ce piano sexuel, la voix suave de George, et son clip dans l’air du temps, vont transformer la chanson en véritable carton. Le clip tourne en permanence sur MTV, la chanson se classe très bien, en Europe surtout. Avec le temps, on peut trouver un côté presque grinçant à Freedom! 90 : la bouilloire à la fin semble imploser et on voit Linda se précipiter pour l’éteindre. Mais le clip coupe brusquement au moment, où, hésitante, se demande si elle doit l’enlever où la laisser déborder. Débordement d’amour, de sexe, de sentiments, de coolitude, c’est à vous de juger…
Heureusement, un intermède heureux arrive enfin. Durant un live à Rio en 1991, George remarque un beau jeune homme brésilien dans la foule. Son nom : Anselmo Feleppa. Le documentaire raconte alors l’incroyable histoire tragique de cette romance. Feleppa est un designer, fan de sa musique et arrive au premier plan. George doit littéralement éviter son regard pour ne pas être déconcentré, tant cet homme l’attire violemment. Ils finissent par se fréquenter, et pour George, c’est la révélation : il est gay, et a trouvé l’amour de sa vie. La relation qui unit les deux hommes est complète, ils sortent beaucoup, font la fête, s’aiment. George est aux anges, car il peut enfin souffler et s’affirmer tel qu’il est. Mais le bonheur est de courte durée. A peine quelques mois après le début de leur relation, Anselmo découvre officiellement une « grippe lourde ». Officieusement, c’est le SIDA. A l’époque, la trithérapie est à ses balbutiements et le taux de mortalité est effrayant. Malheureusement, la une hémorragie cérébrale l’emporte au bout de six mois. Apprenant la nouvelle le jour même alors qu’il est à Londres, George Michael est anéanti, presque mort. Il consomme des drogues à outrance, s’enfonce dans une profonde dépression, boit trop, fume trop. Les excès de bouche et la tristesse le font enfler, la star est au plus mal. Surtout qu’il commence à se disputer avec Sony, synonyme chez lui d’un enfermement artistique. Il trouve que le label ne l’a pas suffisamment soutenu dans sa quête de changement et l’enferme trop dans une image de pop idol hétérosexuelle qu’il n’est pas et qu’il n’a sans doute jamais été. George dénonce même un esclavage professionnel…
Il s’écoule presque 3 ans avant que l’artiste trouve enfin la force d’écrire de nouvelles chansons. Nous sommes en 1996. Curieusement, cette tragédie dans la vie de George va signer l’un de ses albums les plus intimes et les plus cyniques.
George Michael, Freedom : Noir d’encre, rouge sang
1996, sort Older. Comme son nom l’indique, George Michael a mûri. Sa douleur et son besoin d’écrire se font plus violents, et il décide de coucher sur le papier ses questionnements sur le sexe, l’amour, la mort avec une étonnante sincérité. L’album se veut chaud et sexy, mais avec un gouffre intérieur qu’il est difficile d’occulter. Le désir se fait chagrin, le sexe est synonyme de débâcle. Sous des dehors groovy, le spectre de la fin rôde. Les chansons sont fabuleuses, entraînantes et dansantes, mais le fond de l’air est lourd. Difficile d’oublier Older. C’est clairement, comme l’indique George Michael, Freedom, un testament, une mise en garde, un album très personnel. Jamais Michael n’a autant été sincère. Dans l’opus, il parle longuement d’Anselmo, du chagrin infini qu’il a ressenti à sa mort, de son statut de pop-star. Le documentaire insiste longuement sur l’épuisante bataille judiciaire l’opposant à Sony après la sortie de Listen Without Prejudice. Sous l’accusation officielle du manque d’entrain de Sony dans la promotion de l’album, se profile une critique plus violente : l’artiste accuse la maison de disques de l’avoir « hétérosexualisé » pour booster les ventes et de ne pas l’avoir soutenu. Sans le savoir, l’artiste signe sa perte. Personne ne le soutient, ce que George Michael Freedom montre bien (trop?). Miné par cette bataille juridique et profondément meurtri par la mort d’Anselmo, George Michael signe Older comme une thérapie salutaire.
Tout commence avec Jesus To A Child (Jésus comme un enfant), clairement destiné à son amour disparu, où, d’une voix toujours limpide, il parle de ce bonheur trop tôt disparu. Une ballade déchirante qui pourrait faire fondre le plus dur des coeurs de pierre … George Michae se métamorphose physiquement. Exit le teint bronzé, les chemises ouvertes sur le torse, les couleurs criardes. Il arbore barbe taillée de façon graphique, cheveux rasés, lunettes noires épaisses, veste en cuir, chemises noires, grises, blanches. Aucun autre accessoire qu’une montre ou une discrète chevalière. Surtout, George Michael fait son coming-out auprès de sa famille qui l’accepte. Et retrouve l’amour avec Kenny Gross, un marchand d’art texan. Mais le tout dans un deuil lourd et imposant. A peine nous relevons-nous du début que Fastlove p.1 nous foudroie de son flow jazzy. Les paroles, équivoques, parlent d’une sexualité difficile après un chagrin d’amour : »Si tu cherches de l’amour rapide / S’il y a de l’amour dans ses yeux, c’est plus que suffisant / C’est de l’amour mauvais / Un peu d’amour rapide, c’est tout ce qui me vient en tête. » Comprenez par amour rapide (traduction littérale un peu laide), coup d’un soir. Difficile de revenir à de l’amour sincère après avoir connu la folle passion, dit George. Un constat cruel, sublimé par un clip pleinement érotique où l’on voit des hommes et des femmes lascifs changer de peau, couchés sur le lit après un coït un peu trop brutal. Et surtout cette chaise en cuir iconique, aux basses incrustées, où George clame ses doutes. Puis une pluie ravage un appartement, qui submerge l’artiste et les danseurs. Entre deux plans on entend « Je regrette mon bébé« . L’allusion est claire. Fini l’amour. Place au sexe rapide sur un coin de table sans grand romantisme. Les fans sont aux anges, et l’album se vend à 6 millions d’exemplaires. Mention spéciale à Spinning The Wheel, aux allusions charnelles désabusées : « Comment peux-tu m’aimer / Lorsque tu joues avec ma vie / Tu me dis de te donner du temps et de jurer de faire mieux / Donne-moi du temps & je te rendrais du désespoir / Et je ne reviendrais plus ici.
Après la noirceur, vient le temps de la grivoiserie. En 1998, George Michael défraie la chronique avec une anecdote aussi drôle qu’improbable : il aurait été surpris en galante compagnie avec un policier dans les toilettes publiques. Loin de le dédouaner, l’artiste fait son coming-out, sort la chanson Outside et surfe sur ce petit succès pour sortir son best-of Ladies & Gentlemen. L’Amérique n’apprécie pas trop la blague, mais elle fait mouche en Europe. Conscient du vent qui tourne, George Michael part pour l’Angleterre se ressourcer. Là-bas, il fait surtout la une des tabloïds pour son addiction au crack, puis à l’héroïne. Conduit en état d’ivresse, divagations dans la presse, l’artiste se perd dans des déclarations fumeuses comme son refus de dépistage au VIH, ce qui cause sa séparation avec Kenny Gross. George Michael, Freedom montre une bête traquée. Il semble que George Michael ne sait plus qui il est. Une tache rouge sang dans cette vie bien remplie.
George Michael, Freedom : Transparence, disparition
2004. George Michael est considéré comme la plus grande pop star du monde. Il a réussi avant tout le monde à faire des tubes avec des sons noirs comme le jazz, la soul, le blues, et même la bossa nova. Ses récompenses sont éclatantes et nombreuses, et surtout justifiées. On loue sa voix incroyable, son style vestimentaire, ses paroles piquantes, intelligentes, sombres mais réalistes. On admire sa justesse, sa simplicité et sa franchise. Pourtant l’artiste n’est pas heureux. Il a perdu son amour, son procès, et surtout sa mère, décédée d’un cancer. Jamais la star n’a été plus seule que maintenant. Et malgré cela, il arrive à accoucher de son dernier album, le bien nommé Patience. L’album se fait remarquer par deux hits au succès variable : Freeeek ! qui repousse franchement les limites du bon goût en affichant un George Michael en monstre sexuel de cuir rouge où l’on pourrait deviner une allusion au SIDA. Ou le très comique Shoot The Dog, cartoon grotesque et hilarant sur George Bush, Tony Blair où il parle du fiasco de la guerre en Irak. Dans ce album, George Michael semble plus critique sur le monde qui l’entoure, la jeunesse découvrant l’Internet haut débit, la politique, la presse qui ne lui épargne rien. Si l’on peut toujours admirer les talents de songwriter de l’artiste et son goût pour les arrangements parfaits, l’album est assez foutraque et déjà suranné pour les années 2000. Un certain charme brinquebalant qui sera vendu à 4 millions d’exemplaires.
Une petite parenthèse sur Shoot The Dog : le cartoon est réalisé par 2DTV, show satirique anglais, étrillant la politique désastreuse de Bush, le laxisme de Blair et les chiens de la reine d’Angleterre. George Michael se dédouble en drag-queen, en chanteur de Wham!, en chanteur d’Older. L’artiste se fait tantôt effrayant, grivois, drôle, grinçant. Le clip est un véritable bonheur pour toute personne aimant passer du temps sur MTV. Il fut d’ailleurs censuré par la chaîne à cause de son allusion politique trop prononcé et une « fausse » érection sous des draps causée par une marionnette !
La fin de George Michael se fera dans le silence. Il fait surtout parler de lui pour sa toxicomanie, son amour de la bouteille, ses frasques sexuelles. Il s’est trouvé un amant de dix ans son cadet, vit reclus dans sa demeure anglaise. Pourtant, le lion n’est pas encore mort. Il montre une énergie toujours intacte durant les lives. Paul Mc Cartney et Elton John le jalousent, ses fans répondent toujours présents. Patience restera son dernier coup d’éclat. Twenty Five sera un énième best of sorti en 2006, puis Symphonica en 2014. Reste le merveilleux MTV Unplugged Listen Without Prejudice avec des versions a cappella à vous arracher des larmes, et autres raretés qui nous font regretter l’incroyable performance vocale de l’artiste. On appréciera le côté réalisé du documentaire qui se refuse à toute déification de son sujet. Plus l’on se rapproche de la fin, plus les éloges de la profession se font poignantes. Kate Moss, Cindy Crawford, Elton John, sont unanimes : George Michael est un grand artiste, humain et sincère, mais qui n’a pas su supporter le poids de la célébrité, toujours à la recherche d’une échappatoire, mais qui s’est égaré dans des chemins de traverse, dont l’issue sera fatale.
2016. George Michael succombe à une crise cardiaque. L’alcool et les médocs, dangereux mélange, ont eu raison de lui. Les fans sont anéantis. Une année bien funeste pour la musique ayant vu mourir David Bowie, Leonard Cohen et Prince… Son amant est jeté à la rue, exclu du testament, sa famille vend la villa anglaise et hérite d’une importante fortune de 100 millions de dollars dont une partie a été versée à des associations de lutte contre le SIDA. Une pléthore de rééditions ressort au moment de sa mort, et son documentaire Freedom est diffusé. Fin du chapitre. Après les couleurs, survient le vide, la transparence. L’âme de l’artiste disparaît et s’efface, telle une feuille de calicot.
George Michael, Freedom – Fin : multicolore
Que peut-on retenir d’une telle expérience… compliqué à expliquer à vrai dire. Voix d’ange, charisme hors norme, et surtout douceur humaine, George Michael fut une pop star mystérieuse et insaisissable. Sur scène, c’est une bête, dévoilant une aura et une présence inqualifiables. Ses chansons, pures merveilles comme Freedom!90 que Mark Ronson compare à la Joconde. Ses clips aussi, à l’esthétique moderne, véritable portait de son époque. Son look inconique, passant des tee-shirt larges aux vestes de motard brodées, aux longs costards cravates impeccables. Mais toute cette énergie créatrice ne pouvait venir qu’une source tourmentée. Toute sa vie, George Michael se battra avec ses vieux démons, apparaissant (Faith), triomphants (Listen Without Prejudice), combattus (Older) ou résignés (Songs From The Last Century, Patience). A chaque drame, l’artiste se relève tant bien que mal, animée d’une énergie du désespoir qu’il est difficile d’occulter. Son empreinte dans le monde de la musique est durable. Il a permis à la musique noire de s’émanciper et d’éclater, en récoltant au passage des louanges d’artistes noirs comme Prince, Quincy Jones ou même Stevie Wonder. Quelque chose qui a trop été passé sous silence d’ailleurs, étant donné l’importance de la soul et du funk dans ses compositions, et ses duos inoubliables avec des artistes de renom comme la légendaire Aretha Franklin ou bien Mary G.Blige. George Michael n’a pas eu d’héritier biologique, mais sa musique a engendré une myriade d’enfants reconnaissants envers leur paternel. La nouvelle génération peut le remercier d’avoir remis au goût du jour les racines noires de la musique actuelle, et de démontrer qu’avoir une belle voix n’est pas forcément has been…
La Foi, Faith. L’écoute sans jugement, Listen Without Prejudice. La vieillesse, Older. La patience, Patience. Des mots qui sonnent comme des mantras, illustrant l’état d’esprit de l’artiste. Son long cheminement vers une douloureuse lucidité nous serre le coeur. On y entend des sérénades, des sons disco, des éclatements et des disparitions. Le reflet d’une existence chargée en drames, rebondissements et autres joies, ressemblant plus à un roman de Daniel Dafoe à la sauce East Enders.
La vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais George Michael Freedom rendit le périple plein d’aventures.