François Chalet, explosions en série - Alworld.fr

François Chalet, explosions en série

La preuve ultime que les Suisses assurent, question graphisme coloré avec des êtres qui bougent avec de grosses couleurs vives qui pétillent dans les yeux.

C’était un beau jour de 2012. Enfin je crois. Je vois un clip sur Youtube, par simple curiosité. Un groupe à la mode, Modeselektor (rien que ça), en duo avec une plantureuse chanteuse romaine, Miss Platnum, auteure de ce chef-d’oeuvre d’autodérision sur ses formes généreuses. Berlin. Sous mes yeux, Illustrator semble avoir pété un plomb. Des bonshommes aux têtes rondes, aux yeux porcins, d’autres avec des faces de saucisse, avec des cheveux en zigzag. Puis un gros gorille formé de cercles symbolisant ses muscles. Un bazar monstrueux. Et je pense : « tiens ça me dit quelque chose… »

Tout me revient brusquement en tête. Les MTV Europe Music Awards 2001, et son présentateur Ali G, ce déferlement de mauvais goût si agréable! Ces couleurs acidulées, ces personnages adorables, cette animation parfaitement géométrique ! J’ai été tout de suite conquise par cette profusion de formes et de couleurs. Ce type devait être né avec une platine à la place du cœur.

Car François Chalet, suisse de naissance, a depuis toujours cultivé un goût certain pour la musique, électronique de préférence. A la base graphiste, il se spécialise pour le V-Jing, qui consiste à mixer les images en temps réel sur le rythme des musiques électroniques. Pas étonnant que l’on cite MTV comme l’un de ses clients les plus fidèles. Voici un bref aperçu de ce qu’il a pu réaliser avec eux.

L’univers de François Chalet tient ses sources du graphisme suisse, épuré et lisse, auquel on aurait ajouté une bonne dose d’énergie. Des influences diverses parcourent son travail, en premier lieu les cartoons de Tex Avery ou encore les animés japonais dans leur déploiement de couleurs et de vibrations. Les têtes tournent, les jambes flageolent, les yeux sortent de leurs orbites, les bouches s’agrandissent indéfiniment.

Il étudie à l’école de Graphisme de Berne, puis travaille successivement en Suisse et en Allemagne. il signe en 2001 en France avec l’agence Prima Linea, responsable entre autres, des films d’animations Zarafa et la Tortue Rouge. Son premier travail s’effectue alors à l’agence suisse de voyages Escolette. Banco, l’univers coloré et addictif de Chalet séduit les fondateurs d’Escolette, désireux de rajeunir leur clientèle. Malgré un budget serré, Chalet leur dessine une mascotte, un gorille, grand amateur de bananes et d’aventures, ainsi que des vidéos promotionnelles au ton volontairement humoristique.

Le duo à l’époque, n’était pas encore flamboyant. Dunckel jouait du piano dans des bars misérables avec un enfant et une épouse à nourrir. Godin était dans des études d’architecture. Il continue de jouer sur ses instruments, au risque d’embêter les voisins avec son piano Fender Rhodes. Le duo sort en 1997 « Premiers Symptômes » sur le jeune label Source, un recueil de chansons de leur cru, avec Alex Gopher en prime. Si l’album ne provoque ni l’hystérie des fans ni de grosses ventes (70 000 exemplaires vendus), il a le mérite de se faire remarquer. Plus qu’un « vrai » disque, on assiste à un brouillon court, imparfait d’un Moon Safari préparant son chemin vers les étoiles. Doux, planant, mélancolique, d’une rare élégance, Premiers Symptômes est un disque qui résume déjà un talent fou de la part du duo versaillais.

La suite ne se fera pas attendre. Un beau soir de 1998, on laisse à Godin une basse Höfner des années 60, la même basse ayant servi à Paul McCartney pour les Beatles. Branchée à un ampli, elle délivre un son exquis, sec et cool selon les dires de Godin. Après avoir joué un riff à Dunckel, celui-ci lâche un « sexy boy » de nulle part. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le single « Sexy Boy » était né. La préparation d’une navette spatiale demande du temps, de la patience et des efforts, exactement l’état d’esprit du duo à l’époque. Dans une époque prompte aux disques jetables, Air préférait faire les choses en temps et en heure. Alors qu’ils enregistrent les nouveaux morceaux dans l’appartement de Godin à Montmartre, la pression monte.

Pour respirer, le duo part enregistrer dans un ancien studio situé au milieu de la forêt de Saint-Nom-la-Bretèche dans les Yvelines. Puis, il continue l’enregistrement à Paris, mixer l’ensemble par leur ingénieur son Stéphane « Alf » Briat au studio Plus XXX. On doit à ce grand homme le mixage de la musique d’Axelle Red, Depeche Mode, ou encore Phoenix. Puis, l’album se termine dans les deux dernières semaines au studio Gang. L’album est prêt à s’envoler vers de nouveaux cieux.

Vidéo promotionnelle pour Escolette (Agence Famille Müller, 2001)

Escolette adopte de suite cette mascotte décalée sur tous leurs supports et permet à Chalet de réinventer un temps l’extrême rigueur du graphisme suisse. Malgré la simplicité de leurs traits, les personnages expriment tour à tour l’étonnement, le rire, la révolte. Chalet aime la liberté de ton et surtout, de penser dans un milieu assez normé où le story-board est parfois déjà établi à l’avance. Ce genre de surprise, le graphiste ne l’affectionne pas, déclarant qu’il préfère tout voir directement avec l’agence pour créer sans contraintes.

Si le Suisse travaille essentiellement sur ordinateur, il n’hésite pas à retravailler ses photos qu’il scanne et à qui il ajoute des textures, des couleurs, des traits… petit à petit son univers prend forme et s’accommode un peu partout, aussi bien dans des institutions sérieuses et les musées que dans les messes électro.

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Affiche pour le festival de films d'animation Fantoche, à Baden, Suisse (2011)
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Installation pour l'ouverture du Zurich Festival

François Chalet fait partie de ces chanceux à avoir su incorporer création graphique, vidéo et influences personnelles au moment où Internet allait faire un grand boum. Aujourd’hui encore, ses œuvres décalées et ludiques séduisent de nombreuses institutions, en particulier la Compagnie Thomas Duchatelet en 2005 qu’il rejoint le temps d’une exposition à la sauce cartoon.

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Comic pour le Grosseltern Magazin